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La célébrité

La célébrité

« Le monde entier a les yeux fixés sur nous. » Romain Gary

Le terme de « célébrité » connaît aujourd’hui une fortune inégalée. Difficile pourtant de toujours comprendre les raisons de cette renommée qui s’accompagne d’une part de mystère et d’irrationalité paradoxalement couplée à une indiscutable force de séduction. On commencera donc par tenter d’en définir les deux principaux traits se faisant face dans leur complémentarité : la célébrité est à la fois le fait d’un individu, mais aussi, tout autant, du groupe qui l’élit. À l’instar des dieux, l’homme célèbre est omniprésent, et cette invasion ne manquera pas de le rendre suspect d’orgueil et de démesure. Si elle augmente en se diffusant, la célébrité demeure néanmoins une notion relative, et renvoie toujours à un public qui peut être restreint et qui élit alors ses célébrités, une manière pour lui d’exclure qui les ignore.

S’il n’y a pas de recettes pour devenir fameux, certains parcours semblent propices à fonder la renommée de ceux qui les entreprennent :
on est un héros de roman, le modèle d’un portrait ou d’une biographie, on est écrivain, et sa réputation est faite. Cette célébrité littéraire suscite pourtant des commentaires ambigus.

Au mieux le doute : un écrivain est-il toujours légitimement célèbre, et le restera-t-il, puisque cela lui échappe en partie? Est-on célèbre pour son œuvre, ou pour celle que veut bien lire et comprendre le public? Au pire la suspicion : la célébrité est alors taxée de vulgarité par les critiques, de vanité par les moralistes et de masque par les célébrités elles-mêmes. Elle contribue pourtant comme un écho à la vie de textes et d’auteurs devenus références.

Dossier initialement publié dans le numéro 24 des Mots du Cercle, mai-juin-juillet 2005.

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Gary, La promesse de l'aube

« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, ambassadeur de France - tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » (Gary, La promesse de l’aube)

Une personne célèbre, une célébrité est d’abord quelqu’un que ses qualités ou ses actions exceptionnelles ont distingué de ses congénères. Célébrité rime avec rareté. Est célèbre celui qui a réalisé un exploit hors du commun, une action d’éclat - en bien ou en mal, on peut être « tristement célèbre » - qu’il est seul à pouvoir réaliser : la célébrité d’Ulysse est due au rôle qu’il a joué lors de la guerre de Troie, à son statut de roi d’Ithaque. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se présente lorsqu’il dévoile son identité à son hôte Alkinoos : « C’est moi qui suis Ulysse, oui, ce fils de Laërte de qui le monde entier chante toutes les ruses et porte aux nues la gloire. » En ce sens, il convient pour devenir célèbre de se constituer en héros singulier, bâtir une œuvre qui nous rend essentiellement autre, s’extraire hors de la masse des anonymes, se faire un nom. Célébrité et gloire ont longtemps été synonymes.

Lindon, Champion du monde

« Oh, j’ai entendu parler de ce monsieur, répondit mon visiteur. » (Conan Doyle, Le pouce de l’ingénieur)

Mais cette caractéristique n’est pas suffisante, l’acte hors du commun ne fait pas à lui seul la célébrité. Il existe en effet des célébrités qui ne sont ni humaines ni héroïques, des œuvres ou des lieux célèbres. La célébrité, si l’on se reporte à l’étymologie du mot, concernait d’abord des lieux sacrés, dont la « célébrité » renvoyait à leur caractère très fréquenté, au grand nombre de leurs visiteurs. C’est donc la convergence vers un lieu, par extension, les regards de la foule happés vers un pôle qui fondent la célébrité. Une œuvre mille fois parcourue, un nom répété à l’envi, une figure fascinante, un mythe raconté encore et encore forgent la célébrité. Et c’est pour cette raison, pour que ses exploits soient recueillis et diffusés, qu’Ulysse épargne du massacre des prétendants l’aède qui lui annonce : « Je saurai désormais te chanter comme un dieu. » Si la renommée est publicité, elle est donc dépendance, ce qui explique sa nature artificielle (on peut « fabriquer » la célébrité), voire évanescente. Nul ne peut savoir qui seront les célébrités de demain, et bon nombre de celles d’hier ont déjà sombré dans l’oubli.

Lepere, La jeunesse de Molière

« Tu vois que lorsqu’on veut devenir célèbre il faut se plonger avec grâce dans les fleuves de sang alimentés par de la chair à canon. » (Lautréamont, Les chants de Maldoror)

Être illustre c’est donc partager avec les dieux leurs dons d’ubiquité (on est dans tous les esprits à la fois) et d’immortalité (on continue à être lu ou connu, au-delà de la mort, car on est devenu une référence). On est bien du côté d’une forme de sacré : les mots idole, culte ou célébrer débordent des frontières qui séparent la vénération d’ordre sacré et celle d’ordre laïc. Et c’est sans doute cette parenté qui a conduit aux jugements moraux condamnant la vanité de la célébrité, et l’orgueil qui entache l’ambition de celui qui se compare aux immortels. En ce sens, la célébrité a un premier statut ambigu : désirée et refoulée à la fois. C’est ainsi que Flaubert met en garde Amélie Bosquet : « Prenez garde, vous allez prendre la maladie parisienne de la célébrité. Pensez donc à vos livres, à votre style, et à rien de plus. »

Gary, L'Homme à la colombe

« Le monde entier a les yeux fixés sur nous. » (Gary, L’homme à la colombe)

L’ubiquité du personnage connu permet aussi de soulever la question de l’universalité de la célébrité. En principe, plus l’audience d’une célébrité est importante plus sa célébrité le sera. C’est ce qui donne leur aura aux stars de cinéma, ce moyen de diffusion de leur image étant des plus efficaces - est illustre celui qui étymologiquement est « mis en lumière ». Mais c’est ce qui explique aussi la célébrité des personnes ou des personnages de l’histoire des hommes ou des livres : leurs faits, lus et connus depuis des siècles, leur accordent une audience des plus larges. En cela, devenir célèbre, c’est bien se diffuser dans le plus d’esprits possible, afin de hanter les mémoires, de devenir, au sens propre, un lieu commun.

Drouet, Mon grand petit homme

« Si j’avais un nom connu… Ah ! vous verriez comme je serais célèbre… » (Feydeau, Les célèbres)

Mais la notoriété peut aussi se limiter à un cercle étroit : c’est bien le problème qui se pose aux écrivains dits « grands ». Aux yeux de qui devient-on et reste-t-on un écrivain célèbre ? À quel titre entret on dans la postérité ? Une célébrité est-elle nécessairement un classique ? Il y a bien là un point fondamental de divergence entre la notion de qualité et de célébrité : certes elles se recoupent mais de quelle manière ? Doit-on opposer une célébrité contemporaine, vaine, et une célébrité qui est « entrée dans l’histoire » ? Peut-on être un classique de son vivant ? Quel public déciderait ? Sur quels critères ? Par ailleurs, décréter la célébrité d’un auteur peut aussi devenir, pour celui qui l’établit, une arme pour exclure celui qui ne connaîtra pas tel ou tel nom. La célébrité répond à des critères variables en fonction du public qui permet d’en donner une interprétation subjective, sous couvert d’objectivité. Nul n’est censé ignorer le nom célèbre, et si l’allusion tyrannique qu’on y fait reste opaque, on fait d’autant plus figure d’inculte honni que ce nom est supposé fameux.

Tenor, le Soldat inconnu

« Il y a deux manières de devenir célèbre : par agrégation de succès annuels, et par coup de tonnerre. » (Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845)

Ce qui fait l’intérêt de la célébrité, au-delà de ses qualités d’être d’exception vers qui tous les regards se dirigent, c’est aussi le
chemin qui est le sien, objet d’admiration, modèle envié. La célébrité se conquiert, on ne naît pas différent des autres, bien au contraire, devenir « quelqu’un » requiert une extraction. Les personnages célèbres ont pas à pas construit cette différence au gré des embûches qu’ils ont su surmonter. L’être d’exception s’accomplit au travers des preuves de cette exception. Mais on devrait aussi s’interroger sur ce qui valide ce parcours vers la célébrité. Comment les héros naissent-ils ? Qu’est-ce qui fonde leur désir de reconnaissance? Quels exploits les légitiment comme tels ? Ne sommes-nous pas tous finalement aimantés par les pouvoirs de la célébrité ? Cette envie de se singulariser n’est elle pas un universel humain, qui pousse certains aux gestes les plus insensés pour atteindre au renom?

Balzac, Un Début dans la vie

« Souvenez-vous de mon nom, répondit Oscar furieux. Je m’appelle Oscar Husson et dans dix ans, je serai célèbre. » (Balzac, Un début dans la vie)

Un des moyens les plus anciens et les plus efficaces d’embrasser cette singularité est de devenir créateur, et en particulier un créateur dont l’œuvre est destinée à être largement diffusée, c’està dire un artiste. C’est en cela aussi que le thème de la célébrité touche de près au domaine littéraire. L’écrivain, parce qu’il publie, possède sans doute en lui cette volonté de diffuser quelque chose de soi, de devenir ce démiurge vers lequel les regards se tournent. Mais paradoxalement, est-ce pudeur, est-ce culpabilité d’orgueilleux, peu d’écrivains racontent leur œuvre comme le désir de gloire qu’elle est, et leur « pourquoi j’écris » ne s’affiche jamais foncièrement comme étant lié à la célébrité. Et pourtant la figure de l’ascension sociale, un des principaux aspects de la quête de la célébrité en littérature, domine le roman, comme un miroir du romancier.

Michon, Vies minuscules

« Qui, si je n’en prenais ici acte, se souviendrait d’André Dufourneau ? » (Pierre Michon, Vies minuscules)

En première ligne de cette tradition, les romans de formation, romans d’une conquête de soi et d’une conquête du monde. Les héros balzaciens ou stendhaliens, par exemple, font de leur sortie de l’anonymat un objectif essentiel, le rôle de la presse, du monde et du demi-monde étant de leur accorder cette audience et cette exclusivité qui leur assurent la gloire. La célébrité trouve aussi dans toutes les formes littéraires du portrait et de l’éloge un écrin idéal où l’écriture se fait célébration. Et ce sont par essence les textes biographiques et autobiographiques qui signifient par leur existence même, par l’intérêt que les mots accordent à leur modèle qu’ils inscrivent et anoblissent, la célébrité de leur objet.

L’ancrer dans une œuvre, tracer le portrait de quelqu’un c’est aussi lui offrir un support où il se démultiplie. Mais c’est également figer son image. Et l’on touche ici à l’un des paradoxes et des clichés de la célébrité : celui de la nécessaire déformation.

La Bruyère, Les Caractères

« De bien des gens il n’y a que le nom qui vaille quelque chose ; quand vous les voyez de fort près, c’est moins que rien ; de loin ils imposent. » (La Bruyère, Les caractères)

Toute célébrité nimbe l’être d’un mensonge, et c’est ainsi qu’elle est aussi vanité. Pour être dit au plus grand nombre, on est nécessairement simplifié et vulgarisé. Pour devenir lisible, on devient autre. Et en ce sens, quiconque devient célèbre regrette aussitôt ce voile qui le trahit. Comme le dit Corinne, l’héroïne de Mme de Staël : « Je mourrai sans que l’on ait aucune idée de moi, bien que je sois célèbre. » La célébrité en tant qu’inverse de l’intimité fait dire aux hommes et aux femmes célèbres qu’ils ne sont pas connus pour ce qu’ils sont réellement, et que leur image publique est trompeuse. Il en va parfois de même avec certains personnages littéraires ou certains textes. À la « vérité » de l’être de papier se superpose une identité mythique, comme c’est le cas par exemple pour la créature sans nom de Mary Shelley, hâtivement et fautivement baptisée « Frankenstein », du nom de son créateur.

Sand, Histoire de ma vie

« Par goût, je n’aurais pas choisi la profession littéraire, et encore moins la célébrité. » (Sand, Histoire de ma vie)

L’ambiguïté à laquelle se livre le « grand homme » est aussi celle du jugement que l’on porte généralement sur la célébrité et sur le désir qui y conduit. Admirée et honnie à la fois, elle est à l’image du théâtre, art de l’exposition et du voir, longtemps condamné par les instances morales dominantes, religieuses en particulier.

Le goût de briller, de se montrer n’est que vanité et orgueil, et cet amour de soi est conspué par les moralistes. Il en va aujourd’hui de même pour le mot populaire synonyme positif de célébrité, mais également porteur de traits dépréciatifs. L’artiste maudit a en un sens plus de noblesse que l’artiste populaire, reproche que l’on fit en son temps à un Jacques Prévert. Se donner au public, ce serait galvauder son talent, puisqu’on n’en donne qu’une partie accessible. De même que le terme idole, désignant un personnage illustre, renvoie aussi à l’illusoire de l’idolâtrie. C’est sans doute passer un peu vite sur la capacité de certaines œuvres de marquer les consciences, trace qui est un gage de leur grandeur. Et si un texte reste célèbre, n’est-ce pas là un signe de sa qualité, ou du moins un appel à s’y référer? Sa réputation conviera, à chaque époque, des lecteurs nouveaux.