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Patrick Chamoiseau

photo de Patrick Chamoiseau © J. Sassier

A l'occasion de l'étude de « L’esclave vieil homme et le molosse », les élèves de la 1ère STI (électro-technique) de Mathieu Chadebec, lycée Guy de Maupassant à Fécamp, ont interrogé l'auteur pour mieux comprendre le sens de son oeuvre.



Les élèves : Combien de temps avez-vous mis pour écrire L’esclave vieil homme et le molosse ?

PATRICK CHAMOISEAU : L’écriture a été assez rapide, une quinzaine de jours, mais je portais ce projet depuis l’âge de 16 ans, après la lecture du « Le Vieil homme et la mer » de Hemingway.

Les élèves : Est-il vrai que vous avez été « envoûté » comme par un maléfice lorsque vous avez touché les os retrouvés dans la ravine ?

PATRICK CHAMOISEAU : Non, c’est de la fiction, mais je suis très sensible aux vieilles pierres, quand je me rends sur ancienne habitation esclavagiste j’ai l’impression de « sentir » des choses…

Les élèves : Est-il fréquent qu’on vienne vous trouver comme ce nègre-bois pour vous confier des objets ou vous raconter des histoires ?

PATRICK CHAMOISEAU : Oui, très fréquent, les gens me prennent pour une sorte de gardien de la mémoire, récolteur de traditions, raconteur public…

Les élèves : Quel est le sens de l’expression « Marqueur de Paroles » que vous utilisez au début du chapitre 7 ?

PATRICK CHAMOISEAU : Cela indique que le fond de la culture à laquelle j’appartiens est orale, mon ancêtre en littérature n’est pas un écrivain, c’est un conteur, donc tout l’imaginaire de mon pays se trouve dans l’oraliture (contes, proverbes, titimes). Le Marqueur de Paroles est celui qui opère la transition entre l’oraliture et la littérature ; qui construit son langage avec ces deux espaces…

Les élèves : Quel sens donnez-vous au moment où le vieil homme se confond avec la pierre caraïbe ?

PATRICK CHAMOISEAU : Il effectue une renaissance symbolique à l’échelle de la totalité monde. Les nègres marrons traditionnels voulaient retrouver l’Afrique perdue, l’identité ancienne ; le vieil homme a eu l’intuition qu’il ne pouvait pas revenir en arrière. Nous sommes tous forcés aujourd’hui de naître et de renaître dans une identité nouvelle qui fait de nous des citoyens du monde relié, riches de multiples appartenances, plusieurs langues, plusieurs terres, plusieurs histoires… le vieil homme nous a montré la voie…

Les élèves : Peut-on dire que cette histoire est un récit initiatique, que le passage par la source où il manque se noyer est pour le vieux une renaissance, une métamorphose ?

PATRICK CHAMOISEAU : Exact. Il y a une grande concentration symbolique dans ce texte, presque tous les symboles du monde y sont…

Les élèves : Peut-on dire que le molosse se métamorphose également lorsqu’il tombe à son tour dans cette source ?

PATRICK CHAMOISEAU : Peut-être, je ne sais pas, ce qui est sûr c’est que l’ensemble de la poursuite le change irrémédiablement…

Les élèves : Vous dites à la fin que nous sommes tous poursuivis par des monstres. A quels monstres pensez-vous aujourd’hui ?

PATRICK CHAMOISEAU : L’identité à racine unique, l’orgueil de sa langue, l’idée que sa race ou sa culture est la meilleure, l’idée de conquête et de domination, etc… tout ce qui est contraire au fait que nous sommes tous des hommes, qui doivent être solidaires pour enfin habiter toute la terre sans territoires et sans frontières…

Les élèves : Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez construit votre langue dans ce récit : quelle est la part du créole, de vos propres inventions ?

PATRICK CHAMOISEAU : La langue n’est qu’un outil pour l’écrivain, un outil qu’il soumet à la vision qu’il a du monde. Pour construire mon langage j’utilise les deux langues qui m’ont été données par l’histoire, créole et français, j’utilise aussi l’oral et l’écriture. Le mélange de ces ingrédients se fait par la musicalité, il y a une petite musique dans mes phrases, c’est la musique qui mène la narration, je recherche plus la bonne sonorité d’une phrase que la clarté de son sens, je peux sacrifier le sens voire la clarté d’une phrase à la musique que je peux trouver avec tel ou tel mot… Je n’invente pas de mots, les mots d’apparence bizarre proviennent soit du créole, soit du vieux français…

Les élèves : Est-ce que vous parlez aussi dans cette langue-là ?

PATRICK CHAMOISEAU : Non. L’écriture est toujours un artifice : c’est de l’art.

Les élèves : Est-ce que vous avez toujours écrit comme cela ou est-ce venu progressivement ?

PATRICK CHAMOISEAU : Le principe a toujours été le même, mais le résultat change avec l’âge, l’état d’esprit, le sujet, le personnage central, etc…

Les élèves : Parmi les dizaines de mots et d’expressions que nous avons relevés et analysés dans le livre, pourriez-vous nous expliquer le sens exact et l’origine de ceux-ci ( le choix a été difficile !) :

la cacarelle: diarrhée provoquée par une peur intense (mot créole)

un andièt-sa (« un andièt-sa sans lumière m’avala » : intraduisible, c’est à l’origine une injure, on pourrait dire : quelque chose de détestable m’avala…(mot créole)

bankouléle (« une soupe indistincte qui bankoulélait la boue la plus ancienne ») : le bankoulélé désigne un grand désordre, ici il s’agirait d’un bouleversement intense.. .(mot créole)

des blogodo (« des blogodo de peuples et de dieux très fâchés ») : grand bruits… (mot créole)

yé boy : œil abîmé, borgne…(mots créoles)

Les élèves : Comment est née l’envie d’écrire des livres, avez-vous eu des modèles, des écrivains qui vous ont donné cette envie ?

PATRICK CHAMOISEAU : J’écris parce que j’ai beaucoup lu et que je me suis retrouvé àimiter les auteurs que j’aimais, à poursuivre les histoires qui me plaisait, à modifier la fin des livres qui ne me plaisait pas… écrire c’est avoir beaucoup lu…

Les élèves : Avez-vous exercé d’autres métiers ?

PATRICK CHAMOISEAU : Ecrire n’est pas un métier, c’est un état. Mon métier c’est d’être « éducateur » en matière de justice.

Les élèves : Etes-vous un descendant d’esclaves, connaissez-vous les origines de votre famille ?

PATRICK CHAMOISEAU : J’ai des ancêtres africains esclaves, et des ancêtres blancs, marins, colons. Comme les esclaves n’avaient pas d’état civil, ils étaient comptés comme des chevaux ou des outils, on ne peut pas bâtir des arbres généalogiques très épais dans nos pays…

Les élèves : Est-ce que vous avez envie d’écrire au sujet des grèves et des manifestations en Guadeloupe et en Martinique ?

PATRICK CHAMOISEAU : Oui, j’ai écris avec d’autres un texte qui s’intitule : Manifeste pour les produits de haute nécessité, aux éditions Galaade.

Les élèves : Peut-on dire que les blancs « békés » dominent encore aux Antilles, de quelle manière ? Est-ce qu’il y a du racisme envers les blancs ?

PATRICK CHAMOISEAU : L’esclavage a été un crime sans châtiment, les esclavagistes ont été indemnisé et ont gardé toutes les terres. Leurs descendants, les békés, dominent encore nos pays, car les terres leur permettent de dégager des capitaux et d’investir les domaines économiques les plus rentables. Ils maîtrisent aujourd’hui tout l’import-export, donc l’essentiel de notre économie.