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Littérature et cinéma

Littérature et cinéma

Les textes littéraires produisent, des enluminures médiévales aux illustrations de Gustave Doré, leurs propres images. Avec l'invention du cinéma au début du XXe siècle, cette pratique se poursuit. Mais en sortant du livre, en changeant de support, cette « illustration cinématographique » s'est également émancipée de l'écrit. La question de l'adaptation engage donc à s'interroger sur les liens unissant texte et film, mais aussi sur l'écart qui sépare l'œuvre littéraire et son double cinématographique, écart dû aux contraintes techniques du septième art et/ou aux choix révélant la relecture que le cinéaste peut faire d'un texte.

Dossier initialement publié dans le numéro 11 des Mots du Cercle, novembre-décembre-janvier 2001-2002.

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Bresson, Notes sur le cinématographe

« Le film et le roman se présentent de prime abord sous la forme de déroulements temporels. » (Robbe-Grillet)

Un certain nombre d’éléments (la dimension fictionnelle, la continuité du récit, les personnages, le schéma actanciel, les topos, les images réelles ou mentales, la constitution d’une mémoire culturelle autour de classiques) font de la littérature et du cinéma des processus voisins. Tous deux visent le plaisir esthétique et partent d’une même source, le goût de raconter, en mots ou en images. Cinéma et littérature sont deux formes d’écriture, des jumeaux de fiction. Bresson écrit, comme pour souligner cette contiguïté : « Le cinématographe est une écriture avec des images en mouvement et des sons ».

Les Ateliers du 7e art

« Mes héros, un peu comme Don Quichotte, se prennent pour des personnages de roman. » (Rohmer)

Confirmant cette proximité de fonctionnement, cette continuité, il y a, à mi-chemin de l’écrit et du filmique, des œuvres-passerelles, formes hybrides comme certains films de J.-L. Godard, construits autour de citations littéraires, ou encore son Histoire du cinéma, véritable texte-film. De même, les Notes sur le cinématographe de Bresson peuvent être lues comme des fragments poétiques. Quand Rohmer filme des contes, il emprunte là encore à une tradition littéraire. Enfin, un film peut devenir livre, comme le roman L’Humanité, de Bruno Dumont écrit d’après son propre film, ou Le Discours du dictateur, édité à partir du film de Chaplin. Et pourquoi ne pas lire le scénario pour lui-même, comme une forme d’écriture à part entière, transitoire instant littéraire de tout film ?

Perec, Un homme qui dort

« Je me souviens du cinéma Les Agriculteurs, et des fauteuils club du Caméra, et des sièges à deux places du Panthéon. » (Perec)

Par ailleurs des écrivains ont eux-mêmes collaboré à l’adaptation de certains de leurs textes au cinéma, comme c’est le cas pour Un homme qui dort de Perec et Queysanne ou Hiroshima mon amour de Duras et Resnais. De même, des poètes comme Desnos, Cocteau ou Prévert ont écrit sur ou pour le cinéma. Il est patent que ce dernier exerce un pouvoir de fascination (et parfois de répulsion) sur les littérateurs, du fait de sa puissance d’ingestion, de sa capacité à marier art et industrie, de ses images animées, mouvement du réel (ne revivons-nous pas à chaque fois L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat de Louis Lumière ?), son universalité, sa facilité d’accès, son imprégnation dans la société.

Les Ateliers du 7e art

« Il n’existe pas de scénarios originaux. [...] Il n’y a pas de littérature de cinéma.» (Rohmer)

Au-delà de ces formes mixtes, de ces liens, de cette attirance, force est de cons­tater que bon nombre de films empruntent leur matière à la littérature, avec d’ailleurs une prédilection pour le roman réaliste, forme littéraire la plus proche peut-être de l’image. Comme avant tout film il y a une histoire, pourquoi ne pas reprendre une histoire préexistante ? D’autant que l’œuvre adaptée peut, s’il s’agit d’un classique, susciter la curiosité du spectateur, désireux de reproduire, par d’autres moyens, une expérience esthétique plaisante. On ne compte plus les films dont le titre est suivi de la mention «d’après l’œuvre de...».

Flaubert, Madame Bovary

« Pourquoi filmer une histoire quand on peut l’écrire ? » (Rohmer)

Le champ de l’adaptation est des plus vastes : il va de l’adaptation fidèle, quasi- reproduction du texte par l’image (Madame Bovary de Chabrol), à l’œuvre qui se détache de son modèle ("Apocalypse Now" d’après Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad), ou à la citation (L’Odyssée dans "Le Mépris" de Godard ou "O’Brother" des frères Cohen). L’adaptation soulève un certain nombre de questions, à l’image de toutes ces variantes. Tout d’abord, elle contraint à une simplification : on tire d’un roman massif un film n’excédant pas deux heures, on ramasse toute une série de détails, de notations, d’impressions, à quelques séquences majeures, qui donnent au film sa fluidité. Ce souci du rythme amène ainsi certains cinéastes à bousculer la chronologie, le nombre de personnages, afin de faire du visible à partir du lisible.

Debray, Vie et mort de l'image

« Aujourd’hui Dürer ou Rabelais n’auraient-ils pas été cinéastes ? » (Debray)

D’autre part, transcrire les systèmes de focalisation propres au roman, de la voix intérieure du narrateur et des personnages, ne va pas de soi au cinéma. Les personnages de cinéma sont surfaces et paroles. Bresson, cinéaste littéraire par excellence, use dans Le Journal d’un curé de campagne, de la voix-off et de séquences d’écriture d’un journal intime pour rendre compte de cette intériorité du personnage de Bernanos. Qui plus est, le cinéma «ajoute» nécessairement au texte adapté musique et sons, couleur ou noir et blanc. Sans parler du vieillissement du grain de l’image qui inscrit immédiatement les films dans une époque, modifiant la nature même de l’œuvre-source.

Queneau, Zazie dans le métro

« Une chaîne de mots a un sens, une séquence d’images en a mille. » (Debray)

Enfin, dernière difficulté de l’adaptation : alors que le romancier mène son lecteur au gré de la phrase dans une direction qui paraît unique, le spectateur de cinéma aperçoit d’emblée une foule de détails à l’écran. Libre à lui de se laisser porter vers l’un ou l’autre signe. C’est lui qui compose sa propre phrase cinématographique. Et quand bien même le cinéma semble capable de faire de toute histoire un film (jusqu’au Temps retrouvé d’après Proust), on peut se demander s’il n’existe pas des œuvres demeurant «inadaptables» : un texte protéiforme comme les Essais de Montaigne par exemple, ou la poésie en général.

Shelley, Frankenstein ou Le Prométhée moderne

« Cinématographe : façon neuve d’écrire, donc de sentir. » (Besson)

Adapter c’est en même temps aussi donner à un texte, «imposer brutalement» écrit Gracq, des images qui seront, un temps du moins, les visages et les lieux du roman ou de la pièce de théâtre. Difficile par la suite d’imaginer tel ou tel personnage autrement que sous les traits de l’acteur l’ayant incarné au cinéma. À tel point que certains films «faussent» l’intelligence d’une œuvre, comme c’est le cas pour le célèbre Frankenstein de Whale d’après Shelley. On mesure ainsi l’écart qui sépare l’image sur pellicule de celle, immatérielle, que suscitent les mots en notre «théâtre intime», et l’importance fondamentale des choix du cinéaste.

Goodis, Tirez sur le pianiste

« Ce qui est filmé est automatiquement différent de ce qui est écrit, donc original. » (Godard)

Choisir d’adapter un livre est aussi une façon de rendre hommage à un texte, de le relire, de le redire, à la manière d’un comédien qui s’emplit des mots et sert de relais à leur passage. Le cinéaste-passeur s’attache un texte, en propose une lecture personnelle, si bien que la question de la fidélité n’a plus de sens. Le cinéma est comme une réappropriation, création d’une œuvre finalement autonome de son sujet : l’écart entre l’œuvre source et l’adaptation (et il y a toujours écart) révèle cette lecture du cinéaste. L’adaptation est comme une explication de texte, avec ses limites, mais aussi avec ses hypothèses, ses propositions, à confronter avec notre propre lecture. Le cinéma pose ses images au point de donner au texte une importance nouvelle, de construire sa mythification, d’en faire un classique.

Dumas, La Reine Margot

« Et puis ce soir on s’en ira / Au cinéma. » (Apollinaire)

À la source de tout film il y a un texte : fait divers, roman, nouvelle, puis synopsis, scénario. Mais à l’origine de tout texte n’y a-t-il pas aussi une source d’inspiration antérieure : tradition orale, humanisme nourri d’influences gréco-latines, Hugo shakespearien, multiples réécritures des mythes, comme par exemple celui de Don Juan, passant d’auteur à auteur, de cinéaste à cinéaste ? Finalement le cinéma et la littérature se servent des mêmes données, des mêmes archétypes humains. Dans tout texte, dans tout film, il y a une relecture. Le cinéma continue hors de nous le film commencé en nous par le texte.