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Dire les vers

« MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. – Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose, est vers ; et tout ce qui n’est point vers, est prose. » Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène IV.

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«Étrange disparition que celle de la lecture à voix haute. Qu’est-ce que Dostoïevski aurait pensé de ça ? Et Flaubert ? Plus le droit de se mettre les mots en bouche avant de se les fourrer dans la tête ? Plus d’oreille ? Plus de musique ? Plus de salive ? Plus de goût, les mots ? Et puis quoi, encore ! [...] Est-ce qu’il [Flaubert] l n’est pas définitivement mieux placé que quiconque pour savoir que l’intelligence du texte passe par le son des mots d’où fuse tout leur sens ? Est-ce qu’il ne sait pas comme personne, lui qui a tant bagarré contre la musique intempestive des syllabes, la tyrannie des cadences, que le sens, ça se prononce ? Quoi ? des textes muets pour de purs esprits ? À moi, Rabelais ! À moi, Flaubert ! Dosto ! Kafka ! Dickens, à moi ! Gigantesques brailleurs de sens, ici tout de suite ! Venez souffler dans nos livres ! Nos mots ont besoin de corps ! Nos livres ont besoin de vie !

Il est vrai que c’est confortable, le silence du texte… on n’y risque pas la mort de Dickens, emporté après une de ses harassantes lectures publiques… le texte et soi… tous ces mots muselés dans la douillette cuisine de notre intelligence… comme on se sent quelqu’un en ce silencieux tricotage de nos commentaires !.. et puis, à juger le livre à part soi on ne court pas le risque d’être jugé par lui… c’est que, dès que la voix s’en mêle, le livre en dit long sur son lecteur… le livre dit tout.

L’homme qui lit de vive voix s’expose absolument. S’il ne sait pas ce qu’il lit, il est ignorant dans ses mots, c’est une misère, et cela s’entend. S’il refuse d’habiter sa lecture, les mots restent lettres mortes, et cela se sent. S’il gorge le texte de sa présence, l’auteur se rétracte, c’est un numéro de cirque, et cela se voit. L’homme qui lit de vive voix s’expose absolument aux yeux qui l’écoutent.

S’il lit vraiment, s’il y met son savoir en maîtrisant son plaisir, si sa lecture est acte de sympathie pour l’auditoire
comme pour le texte et son auteur, s’il parvient à faire entendre la nécessité d’écrire en réveillant nos plus obscurs
besoins de comprendre, alors les livres s’ouvrent grand, et la foule de ceux qui se croyaient exclus de la lecture s’y
engouffre derrière lui.»

Daniel Pennac, Comme un roman (1992),
Gallimard, collection « Folio », no 2724, p. 195-196.

Dix règles pour commencer

1. Lire le poème à voix basse au préalable.
2. S’entraîner à lire à voix haute au préalable.
3. Choisir de lire debout.
4. Articuler et porter la voix.
5. Choisir de lire avec ou sans micro.
6. Tenir compte de son auditoire, le regarder. S’adresser à lui.
7. Respecter la ponctuation.
8. Respirer.
9. Choisir une intensité et une intention.
10. Choisir un rythme, ne pas avoir peur du silence.

Comment dire les vers ?

Il ne suffit pas de comprendre pour se faire comprendre. Voir, sentir, comprendre sont une chose ; faire voir, faire sentir, faire comprendre, une autre chose.
Comment peut-on faire comprendre des vers ?
L’homme respire, produit des sons et articule ces sons. Il peut améliorer son articulation et sa diction afin de mieux exprimer les vers qu’il lit, qu’il récite ou qu’il joue.
Pour cela, il est nécessaire de travailler :
– le souffle ;
– la voix ;
– l’articulation et la prononciation.

I. Travailler le souffle

La parole publique demande une respiration développée. La respiration sert à marquer la ponctuation orale et permet au lecteur de ne pas s’épuiser. La respiration orale inclut des phases d’inspiration et d’expiration. Elle exige des arrêts, même légers.
La ponctuation orale n’est pas toujours en relation directe avec la ponctuation écrite. La ponctuation des vers est soumise au sens et ne doit jamais être placée après la coupe ou la fin du vers si elle n’est pas justifiée.
On distingue deux sortes d’inspiration : l’inspiration diaphragmatique, due à la contraction et à l’abaissement du diaphragme, et l’inspiration costale, due à l’élévation et à l’écartement des côtes. Il faudra donc s’habituer à respirer de la base des poumons. Dans la respiration orale, la bouche est absolument close. En principe, il faut donc respirer par le nez. Cependant, un lecteur (ou acteur) ne saurait toujours s’imposer de fermer la bouche pour prendre sa respiration. Il
faudra donc respirer à la fois par la bouche et par le nez. Le lecteur (ou l’acteur) prend son souffle profondément, fréquemment, rapidement, calmement, sans bruit.
L’expiration est pour le lecteur (ou l’acteur) un moment délicat. Il doit parler uniquement sur l’expiration, ne jamais attaquer une phrase ou un vers dès le commencement de l’expiration, ne jamais aller à la limite du souffle, expirer de manière égale. L’expiration doit être aussi ample au début qu’en finale d’une phrase ou d’une période de vers.
Les attaques et les finales doivent avoir la même sonorité et intensité que le reste de l’inflexion.
Une phrase ou un vers non attaqués se poursuivent sans intérêt. La finale de la phrase ou du vers lui donne sa force. L’attaque est la première syllabe ; la finale est la dernière syllabe d’un mot, d’une phrase ou d’un vers, d’une inflexion.

Exercices d’entraînement

a) Choisissez un texte en vers et exercez-vous à dire le texte sans modulation de voix et d’une
seule expiration – d’abord un seul alexandrin, puis deux, puis trois, etc. –, le plus lentement
possible sans lâcher le souffle ni se soucier du sens.

b) Inspirez largement ; dès que la provision d’air est faite, laissez l’air s’échapper lentement en
faisant entendre le son a sur le médium, sans tremblement dans la voix. Vous pouvez varier cet
exercice en modifiant l’intensité de manière croissante ou décroissante

c) En marquant les respirations signalées par le signe /, lisez le texte suivant :

 

CAMILLE

 

Rome, / l’unique objet de mon ressentiment ! /
Rome, / à qui vient ton bras d’immoler mon Amant ! /
Rome, qui t’a vu naître, / et que ton coeur adore ! /
Rome enfin que je hais / parce qu’elle t’honore ! /
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés /
Saper ses fondements encor mal assurés ! /
Et si ce n’est assez de toute l’Italie, /
Que l’Orient / contre elle à l’Occident s’allie, /
Que cent peuples / unis des bouts de l’Univers /
Passent pour la détruire, et les monts et les mers ! /
Qu’elle-même / sur soi / renverse ses murailles, /
Et de ses propres mains / déchire ses entrailles : /
Que le courroux du Ciel / allumé par mes voeux /
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux. /
Puissé-je / de mes yeux / y voir tomber ce foudre, /
Voir ses maisons en cendre, / et tes lauriers en poudre : /
Voir le dernier Romain à son dernier soupir, /
Moi seule en être cause, / et mourir de plaisir ! /

Pierre Corneille, Horace (1640), acte IV, scène VI, v. 1301-1318,
Gallimard, collection « Folio théâtre », n°16, p. 100.

II. Travailler la voix

La voix parlée est différente de la voix chantée. La voix parlée doit réunir trois qualités :
l’intensité, la hauteur, et le timbre.
La voix humaine possède trois registres : aigu, médium, grave. Le registre médium est celui qui
correspond instinctivement à celui de la conversation courante.
Pour lire et dire des vers, il faut poser sa voix, c’est-à-dire placer sa voix dans le registre médium.
C’est le registre le plus puissant, le plus naturel et le plus expressif. Il faut placer sa voix dans le
masque. La voix doit résonner contre la partie antérieure de la face (région palatine et joues). Le
masque constitue la boîte de résonance naturelle de l’instrument musical humain.
Le lecteur (ou l’acteur) peut développer sa voix en maîtrisant sa respiration. Il ne s’agit en aucun
cas d’exagérer l’expiration ; il faut chercher à développer l’ampleur et l’intensité du son.

Exercices d’entraînement

a) Respirez amplement et émettez un son a dans le médium sans contracter la gorge. Cherchez ensuite à varier la sonorité de la note émise.

b) Respirez amplement et cherchez à émettre le son a avec des gammes musicales variées. Vous pouvez aussi rendre ces modulations expressives en modifiant la tonalité suivant un sentiment différent (joie, colère, douleur, menace, étonnement, supplication…).

c) Vous pouvez faire cet exercice sur quelques vers, tels ceux de La Fontaine :
« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. »
« La raison du plus fort est toujours la meilleure. »
« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. »

d) Choisissez un texte et cherchez à le lire dans le médium et en ayant soin de rester sur cette
tonalité.

e) Pour s’entraîner à maîtriser son souffle, parlez avec une articulation nette à quelques centimètres d’une bougie allumée. Si la bougie s’éteint, c’est que l’expiration est excessive.
Cherchez alors à obtenir une meilleure économie de votre souffle pour que la bougie reste allumée. Cherchez ensuite à accroître progressivement la force de la parole en évitant toujours d’éteindre la flamme.

f) Le meilleur exercice pour entraîner votre voix consiste à parler souvent dans un endroit vaste, même en plein air. Entraînez-vous à lire ou à dire face à un obstacle (un mur) ; si la voix est appuyée contre un obstacle, la sonorité ne se perd pas.

III. Travailler l’articulation et la prononciation

Le rôle de l’articulation permet au lecteur ou à l’acteur de se faire entendre, il est un élément d’expression et d’autorité. L’articulation permet de s’imposer et de se faire écouter. Le lecteur doit étudier le texte au point de vue de l’articulation, il doit l’avoir dans la bouche, c’est-à-dire avoir étudié les difficultés du texte à lire ou à dire et les maîtriser. La nécessité de ce travail s’accroît avec le mouvement (ou l’énergie) dans lequel doit être dit le texte. On ne parle pas devant un auditoire comme on parle dans sa chambre. Il faut lire ou dire avec énergie, articuler avec vigueur. Il faut donc articuler des lèvres. L’articulation peut presque toujours remplacer la voix. Les attaques doivent être nettes et les consonnes finales, soutenues.

Exercices d’entraînement

a) Entraînez-vous à lire les virelangues suivantes de manière nette :

– Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches ou archisèches ?
– Dis-moi, petit pot de beurre, quand te dé-petit-pot-de-beurreriseras-tu ? Je me dé-petit-pot-debeurreriserai
quand tous les petits pots de beurre se dé-petit-pot-de-beurreriseront.
– Le fisc fixe et exige chaque taxe fixe et excessive exclusivement au luxe et à l’exquis.
– Je veux et j’exige d’exquises excuses du juge. Du juge, j’exige et je veux d’excuses exquises.

b) Apprenez par cœur ces phrases, puis cherchez à les dire une seule fois, d’abord lentement, puis
plusieurs fois et de plus en plus vite.

c) Entraînez-vous à faire cet exercice en plaçant un crayon de bois entre vos dents et en cherchant
à vous faire clairement comprendre.

d) Exercez-vous à conjuguer d’une voix claire et nette : « Il faut que je roule, il faut que tu roules,
il faut qu’il roule », etc.

C’est la leçon de récitation… je regarde la main de la maîtresse, son porte-plume qui descend le long de la liste
de noms… hésite… si elle pouvait aller plus bas jusqu’à la lettre T ?… elle y arrive, sa main s’arrête, elle lève la
tête, ses yeux me cherchent, elle m’appelle…

J’aime sentir cette peur légère, cette excitation… Je sais très bien le texte par coeur, je ne risque pas de me
tromper, d’oublier un seul mot, mais il faut surtout que je parte sur le ton juste… voilà, c’est parti… ne pas faire
trop monter, trop descendre ma voix, ne pas la forcer, ne pas la faire vibrer, ça me ferait honte… dans le silence ma
voix résonne, les mots se détachent très nets, exactement comme ils doivent être, ils me portent, je me fonds avec
eux, mon sentiment de satisfaction…

– Aucune actrice n’a pu en éprouver de plus intense…

– Aucune. Bien qu’il n’y ait pas d’applaudissements, mais quels applaudissements, quelles ovations peuvent
donner plus de joie que ne m’en donne la certitude d’avoir atteint la perfection… ce que confirme, comme il se doit,
comme il est juste, la maîtresse quand elle prononce ces mots où il n’y a pas de place pour la moindre réserve :
« C’est très bien, je te mets dix. »

Nathalie Sarraute, Enfance (1983),
Gallimard, collection « Folio », n°1684, p. 180-181.

Dossier réalisé par Sylvie Jopeck

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