La raison de cette anthologie, Cioran la donne lui-même dans un court avant-propos : c'est son enthousiasme pour Saint-Simon, «auteur vertigineux» qui l'a fasciné depuis toujours. Ce choix de portraits des XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, galerie de personnages aussi disparates que Talleyrand, «parasite de son époque dont il incarnait les vices», Mme Roland, l'héroïque incorruptible, Mme du Deffand, Jean-Jacques Rousseau, Napoléon, sert à dévoiler «les mystères attachants ou ténébreux» de l'être humain. Très personnel, il reflète autant les hantises et les options de ces deux siècles que les préférences et les obsessions de Cioran lui-même. En connaisseur exceptionnel des Mémoires et correspondances du temps, de Saint-Simon à Tocqueville, Cioran commence avec une de ses «idoles» pour finir avec une autre.
La préface est un chef-d'œuvre d'exploration, d'«éclairage» psychologique et historique. Elle est un premier jet, plus long, plus complexe, de l'essai intitulé «L'amateur de mémoires» publié en 1979 dans Écartèlement. Les variations stylistiques feront un sujet d'étude pour les linguistes et les délices des lecteurs passionnés. Un texte exaltant et d'un grand intérêt à cause de ces «suppléments», de ces «noyaux» des essais et aphorismes ultérieurs.