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Clémentine Beauvais

© Éditions Sarbacane

À l'occasion de la parution de «L'amour en poésie» (Folio Junior Poésie), découvrez notre entretien avec Clémentine Beauvais, à l'origine de cette nouvelle anthologie thématique.



Vous qui êtes autrice de littérature jeunesse, quel rapport entretenez-vous avec le genre poétique ?

Un rapport assez proche depuis plusieurs années, parce que je suis autrice de littérature jeunesse et notamment de romans en vers. J’en ai écrit un pour les ados et un autre pour les adultes. J’ai également traduit beaucoup de romans en vers. Mon approche de la poésie est principalement narrative, normalement. Du moins en termes de pratique. Ce qui m’intéresse en écriture est de l’ordre du récit poétique. Je ne suis pas autrice de poèmes, mais j’en suis une grande lectrice !

Vous avez pris le parti de centrer ce recueil sur l’amour romantique et/ou charnel. Pour quelle raison ?

En toute honnêteté, parce qu’il y a tellement à faire ! L’amour, c’est très vaste. On pourrait parler de l’amour des animaux, de l’amour maternel, de l’amour de l’univers, du cosmos, de l’amour de Dieu. On pourrait parler de tellement d’amours ! Et dans l’anthologie qui existait auparavant chez Gallimard Jeunesse, le thème était « l’amour et l’amitié ».

Je me suis dit que cette nouvelle anthologie allait devoir être courte, qu’il allait falloir faire des choix. Que recherchent les lecteurs et lectrices qui ouvrent une anthologie sur l’amour ? À première vue, ils veulent de l’amour romantique et charnel. J’allais donc prendre ce parti-là, l’expliciter dans la préface et partir sur une anthologie éhontément amoureuse. Ce qui est intéressant également, c’est que lorsqu’on ne s’éparpille pas et qu’on reste sur un seul thème, on peut en explorer toutes les facettes.

Vous choisissez d’aborder des thématiques qui ont longtemps été taboues dans les établissements scolaires, tels que le rapport à la sexualité, au corps, mais aussi le consentement. Autant de sujets qui risquent de provoquer de vives réactions dans une salle de classe. Quel message souhaitez-vous faire passer aux élèves ?

Ça m’intéressait de prendre des concepts qui semblent ultra-contemporains comme le consentement ou le ghosting, et de montrer que ce sont des thèmes traités en poésie. Jusqu’à présent, lorsque l’on présentait la poésie au collège, du moins à ma génération, c’était surtout l’histoire d’un homme qui cherchait à obtenir les faveurs d’une femme ou qui se plaignait de ne pas avoir réussi. Je pense qu’il y a énormément de ça dans la poésie amoureuse, mais pas seulement.

Ça m’intéressait de mettre ces poèmes en lumière. C’était également pour moi une espèce de contrainte thématique, qui me forçait à aller au-delà de mes réflexes immédiats, à me demander s’il existait des poèmes sur le consentement par exemple. En feuilletant les recueils dans lesquels j’effectuais mes recherches, je me suis rendu compte que ça se trouvait juste là. Je me disais : «Tiens ! Dans celui-là, il est justement question d’un personnage qui ne trouve pas ça très passionnant de gagner les faveurs d’une femme qui n’est pas d’accord. » C’est très intéressant cette esthétique de la réception, changée par les conventions actuelles.

Cette anthologie est riche par sa diversité de poèmes, de styles, mais aussi d’époques et de poétesses représentées. Quel a été le fil conducteur qui vous a permis de sélectionner les différents textes ?

Quand on m’a proposé de réaliser cette anthologie, j’ai prévenu que j’allais y faire figurer beaucoup de poétesses ! Je venais de traduire l’ouvrage de Diglee, Je serai le feu, qu’elle a publié aux éditions La Ville brûle. C’est une anthologie de poétesses. Je me suis beaucoup aidée de ce livre. Ensuite, j’ai commencé à regarder ce qu’il y avait comme poétesses. Il y en avait beaucoup que je ne connaissais pas, d’autres que je connaissais, mais pas forcément tous les poèmes en question. Je me suis énormément informée et j’ai découvert des poèmes extrêmement riches écrits par des femmes. J’ai trouvé hallucinant qu’il y ait autant de merveilleux poèmes qui soient passés sous silence. J’ai réalisé qu’il existait des dizaines de poétesses du XIXe qui étaient très connues à leur époque et qui ont été complètement oubliées.

Je n’ai pas eu de fil conducteur, mais j’avais un tableau dans lequel j’essayais d’avoir non seulement une sorte d’équilibre hommes/femmes, mais aussi un équilibre thématique. J’avais plus ou moins décidé de mes grandes thématiques. En revanche, je vais être honnête, je n’ai pas tenu à avoir un équilibre strict entre les périodes historiques. J’adore le XIXe et c’est un parti pris de mon anthologie. Je me demandais à chaque fois si un poème n’allait pas faire doublon avec un autre. Je voulais qu’il y ait aussi un équilibre entre les textes et les auteurs qu’on attend, par exemple Du Bellay ou Aragon. Ça me paraissait normal qu’ils soient présents et, à l’inverse, qu’il y en ait d’autres totalement inconnus. J’ai voulu également qu’il y ait certains poèmes traduits. Ce n’était pas du tout une question de ligne directrice, mais un calibrage au cas par cas.

Je voulais par ailleurs qu’il y ait des éléments qui se répondent : par exemple, je tenais beaucoup à Brassens qui répond à La Fontaine. Je voulais que les élèves puissent se dire : « C’est marrant, on dirait qu’ils se font un petit dialogue ».

Enfin, si vous ne deviez retenir qu’un seul poème de cette anthologie, lequel choisiriez-vous et pour quelle raison ?

C’est très difficile ! Je dois dire que personnellement, j’ai eu un énorme coup de cœur pour Francis Jammes. Je le connaissais, indirectement, parce que Brassens a chanté plusieurs de ses poèmes. Puis je me suis aperçue que j’avais déjà lu certains de ses poèmes sans le savoir. Je trouve son poème « Je t’aime » merveilleux et particulièrement touchant.

D’un point de vue personnel, j’ai insisté pour qu’Alicia Gallienne ouvre le recueil. Je trouve son poème Singulier-Pluriel sublime. Mais pas seulement celui-là. Il y en a beaucoup que j’aime dans son œuvre. Pour moi, c’était symboliquement fort de commencer le recueil avec une très jeune autrice puisqu’elle avait dix-sept ou dix-huit ans quand elle a écrit ce poème.

Propos recueillis par Ophélie Gibert

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