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Erik L'Homme

Découvrez notre entretien avec Erik L'Homme à l'occasion des 20 ans de la saga «Le Livre des Étoiles» et de notre concours de fanfictions.



Comment vous est venue l’idée de cette trilogie ?

Ce sont deux rencontres qui m’ont conduit à l’écrire. J’ai d’abord eu la chance (et l’honneur) de faire la connaissance de Jean-Philippe Arrou-Vignod, auteur et directeur de collection chez Gallimard Jeunesse. J’ai ensuite découvert Harry Potter, dont j’ai dévoré les trois premiers tomes (les seuls qui existaient alors) en quelques jours, et j’ai ressenti cette lecture comme un défi : pouvait-on écrire une histoire de sorciers après Harry Potter ? Plongé depuis l’enfance dans l’univers des contes et légendes, amateur de SF et de fantasy (autant d’influences que j’assume pleinement), l’idée du Livre des Étoiles m’est venue aussi naturellement que la démarche d’en confier le premier jet à l’éditeur Jean-Philippe Arrou-Vignod !

Comment vous êtes-vous organisé pour l’écriture ?

Avec le culot propre aux débutants qui ne doutent de rien, je suis parti, pour construire mon histoire, des principaux points qui m’avaient gêné chez Harry Potter : l’inconsistance de la magie utilisée, à laquelle on demande au lecteur de croire sans explication ; le mélange et la hiérarchisation des mondes, celui des magiciens étant supérieur à celui des Moldus ; l’école et l’internat, dont je n’ai jamais été grand fan (pour ne pas dire plus). J’ai donc commencé par imaginer un pays à part, dans la tradition de la fantasy, non pas coupé du nôtre mais autonome, c’est-à-dire peuplé non seulement de magiciens mais aussi de chevaliers, de créatures étranges et de gens ordinaires ; j’ai ensuite inventé une magie plausible, sur la base de l’ancienne écriture divinatoire runique ; enfin, j’ai créé les conditions d’un apprentissage, dans la vieille tradition du compagnonnage, avec un maître et un apprenti… Tout le reste n’était plus que travail, sueur, moments de doute et de joie ; bref, d’écriture !

Êtes-vous plutôt un scripturant ou un structurant ?

Sans hésitation, un structurant, ou un architecte selon les définitions. J’aborde en effet chaque nouveau roman de la même manière. Je commence par réfléchir longuement, sans rien écrire. Comme on dit, je me fais un film ! Puis je jette sur une feuille les grandes lignes de mon histoire, une sorte de plan qui me sert de fil d’Ariane. C’est un plan assez précis, parce que j’ai une idée solide de l’endroit où je veux aller. Bien sûr, ce plan est amené à changer en cours de route. Lorsque je me lance dans l’écriture proprement dite, je deviens comme un randonneur régulièrement contraint par le terrain de modifier son itinéraire. Le terrain, c’est l’écriture. Tant qu’on ne s’y est pas frotté, on peut prévoir tout ce qu’on veut, mais c’est l’écriture qui finit toujours par dicter sa loi.

Vos romans comportent de nombreux personnages, dont chacun a des parties spécifiques dans les trois volumes : comment avez-vous géré ces personnages pour qu’ils évoluent tous à leur manière ?

Pour moi, une histoire, c’est d’abord des personnages. Ils peuvent être parfois archétypaux (ce qui est différent de caricaturaux) ; c’est un choix qui contribue selon moi à leur intemporalité. Ce qui est important, c’est que j’écrive à la hauteur de mes personnages ; je me glisse derrière eux, j’essaye de voir ce qu’ils voient. Ma trame est solidement bâtie, je peux me reposer dessus et me consacrer à leurs états d’âme. Lorsque j’évoque les modifications narratives qui s’imposent à moi au fil de l’écriture, elles sont toujours dues à mes personnages. Les faire penser et agir juste (je n’ai pas dit « bien » !) est à mon avis la clé qui donne accès à tout le reste.

Comment faites-vous pour qu’on ait autant envie de lire le tome 2 après avoir lu le tome 1, et idem pour le tome 3 ?

Je n’ai rien inventé depuis les feuilletonistes du XIXe siècle, qui se débrouillaient pour créer un effet de suspens, d’attente impatiente à la fin de chaque épisode, donnant envie au lecteur d’acheter le journal du lendemain pour découvrir la suite. Ce qui change avec une trilogie, c’est que cet effet doit être amplifié et complexifié en rattachant les différents fils de l’intrigue, car il ne s’agit pas de feuilletons mais de tomes. Les scénaristes anglo-saxons qui bâtissent les séries télévisuelles actuelles sont passés maîtres dans ce jeu-là. À mon modeste niveau, j’essaye toujours d’une part, de provoquer le désir de savoir ce qui va arriver aux personnages et d’autre part, de nourrir la curiosité du lecteur, car trop de frustration peut amener à l’effet inverse et le pousser à tout arrêter.

Qu’est-ce qui vous nourrit dans votre quotidien pour inventer des histoires relevant des genres de l’imaginaire ?

J’ai toujours été un garçon rêveur, un dévoreur de livres, plus à l’aise dans l’imaginaire que dans le réel (même si, c’est important, je n’ai jamais cherché à fuir la réalité). Aujourd’hui encore, je passe beaucoup (trop) de temps dans ma tête, à rêvasser, à me raconter des histoires. Mon imaginaire puise donc dans les livres (Le Seigneur des Anneaux plus que Harry Potter, quand même), les films (Stargate par exemple, qui m’a inspiré pour Le Livre des Étoiles l’idée des portes conduisant d’un monde à l’autre), les choses vécues (Agathe a existé et m’a martyrisé au collège bien avant Guillemot), ma culture d’historien (j’ai effectué des recherches sur les runes avant de créer mes Graphèmes) et mes voyages. Ainsi, la ville de Ferghânâ dans laquelle déambule Guillemot avant de faire la connaissance de Kyle, m’a été inspirée par Marrakech au Maroc. Le peuple de la mer, que rencontre Coralie, existe vraiment (sous une forme certes moins fantastique) et nomadise, à bord de radeaux, au sud de l’archipel philippin. Enfin, pour terminer, les brigands qui capturent Romaric et Coralie m’ont rappelé ceux qui nous ont dévalisés, mon frère et moi, un jour de neige, sur la route du col de Lowari au Pakistan…

Dans Le Livre des Étoiles, Guillemot apprend une nouvelle langue. De même, dans Nouvelle Sparte, vous avez inventé de nouveaux mots. Vous vous inscrivez ainsi dans une tradition typique de la fantasy, qui crée des langages. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette création linguistique ? Quelles sont vos recettes ?

Mon bon maître, Jack Vance, adorait dans ses livres inventer des univers avec un luxe incroyable de détails. Tolkien, quant à lui, a pratiquement imaginé son œuvre autour des langues créées pour les peuples de la Terre du Milieu. Quant à l’immense Ursula Le Guin, c’est le mystère des mots qui accouche du cycle fondateur de Terremer. Tout simplement parce que le langage est l’origine de tout et la condition même de l’intelligence ; ce que semble oublier notre époque en train de basculer dans le règne despotique de l’image. Je m’inscris donc fort modestement dans cette tradition de jeu linguistique, suivant humblement les traces des géants, pour rappeler que les liens premiers, ceux qui attachent la réalité aux mondes imaginaires, les personnages les uns aux autres et les lecteurs aux auteurs, faits de mots et de sens, irriguent avant tout les cœurs et les âmes. Pour cela, j’ai mes recettes, et plus que créer à partir de rien, je préfère réemployer ce qui existe. Ainsi par exemple, pour Le Livre des Étoiles, les runes à la base des Graphèmes, et le khowar, une langue que je suis (je crois) le seul à parler en France, apprise au cours d’un long séjour dans les montagnes de l’Hindou Kouch…

Jimmy Blin, votre fan, a écrit un tome 4 : qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une doublement belle histoire ! D’abord parce que La Boussole des trois Mondes est un livre astucieux, captivant, très bien écrit, extrêmement fidèle à mon univers et à mes personnages, mais résonnant aussi de cette patte propre à Jimmy qui en fait un écrivain véritable. Ensuite parce que je trouve formidable et émouvant qu’un jeune lecteur ait pu être touché à ce point par mon Livre des Étoiles pour en proposer une suite, vingt ans plus tard. Pour moi qui accorde une grande importance à la transmission, c’est la plus belle des manières de fêter l’anniversaire de Guillemot !

Quel(s) défi(s) d’écriture aimeriez-vous proposer à votre lecteur ?

Le plus grand des défis : celui de raconter une histoire qui soit vraiment la sienne. Ni celle des maîtres, parents ou professeurs, ni celle de la pensée ambiante, télé, réseaux, copains. Aller chercher au fond de soi ce qui nous rend unique. Et libre.

Quelles qualités vous semblent importantes pour écrire ? Quels encouragements donneriez-vous à un jeune écrivain ?

Aimer raconter des histoires, pour commencer ; aimer les histoires ne suffit pas, il faut en plus avoir l’envie d’en raconter. Posséder une vraie imagination, ensuite, pour que ces histoires puissent devenir les siennes et ne pas rester celles des autres. Et puis avoir du goût pour écrire, pour sa langue, comprendre que seule la maîtrise de l’outil permet de façonner une œuvre ; se préparer donc à un long travail pour acquérir les connaissances lexicales et grammaticales qui, à la manière de la science de la nature et des Graphèmes, permettent de pratiquer la magie des mots. Pour tout cela enfin, de la volonté et de la persévérance. Si l’on a en soi toutes ces qualités, il faut foncer. Car il n’y a jamais trop d’écrivains. Une voix singulière trouvera toujours sa place ; elle ne viendra pas en concurrence mais s’ajoutera au grand murmure du cosmos.

Propos recueillis par Sophie Ruhaud-Trouffier

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