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Josée Kamoun

À l'occasion de la parution de «1984» de George Orwell en Folio, dans la nouvelle traduction de Josée Kamoun (Du Monde entier, 2018), découvrez notre entretien avec la traductrice.



La première traduction française de 1984 de George Orwell date de 1950. Comment peut-on expliquer la nécessité de renouveler cette traduction ?

Selon moi, retravailler le texte de George Orwell devait permettre non seulement de dépoussiérer la traduction quelque peu convenue de 1950, mais surtout de revenir au style acéré d’Orwell. J’ai souhaité remettre l’accent sur les particularités de l’écriture de l’auteur, notamment en faisant passer ce que l’on peut appeler les effets de relief. Dans 1984, j’ai ainsi eu à cœur de rendre le relief entre les scènes noires comme celle de la torture et, à l’opposé, celles de la révélation du plaisir charnel. Le corps occupe une place centrale dans le récit d’Orwell. Il faut mettre l’accent sur cet aspect.

Quelles sont les principales modifications lexicales que vous avez opérées par rapport à la traduction d’Amélie Audiberti ? Pouvez-vous expliquer la raison de ces transformations ?

J’ai effectué certaines modifications lexicales dans le souci de retranscrire le caractère acéré des expressions choisies par Orwell pour décrire l’univers de Big Brother.

Ainsi, «newspeak» est traduit par «néoparler» au lieu de «novlangue». Car si Orwell a choisi «new speak», c’est pour désigner non pas un langage, mais une manière de s’exprimer. Et le terme «néoparler» reproduit davantage le processus de destruction de la langue mis en œuvre.

De même, «tought police» est devenu «mentopolice» au lieu de «police de la pensée». En anglais, l’expression est très compacte.C’est pourquoi j’ai préféré «mentopolice», qui est plus directe et percutante.

Il y a aussi des modifications liées à l’évolution de notre société. Par exemple, le terme « bistrot » avait été choisi par Amélie Aubiderti en 1950. De nos jours, l’image du bistrot qui nous vient à l’esprit ne correspond pas à ce que désigne Orwell, c’est pourquoi le «pub», qui appartient à présent, à notre quotidien, m’a semblé plus approprié.

Vous avez fait le choix du présent de l’indicatif dans votre traduction. Selon vous, quel effet cette modification temporelle opère-t-elle sur le lecteur ?

J’ai d’abord débuté la traduction de l’œuvre au passé simple afin de retranscrire le prétérit employé par George Orwell. En anglais, le prétérit est le temps de tous les récits, mais il n’implique pas de distance dans la narration. En revanche, l’emploi du passé simple crée en français une distance cérémonieuse qui ne rend pas compte de l’atmosphère créée par George Orwell. De plus, l’emploi du passé simple engendre une concordance des temps qui amplifie cet éloignement avec la langue orale. Au bout de quelques semaines de travail, le parti pris du présent s’est donc imposé à moi. J’ai alors pris conscience de la force de ce temps et de l’effet terrifiant qu’il produit sur le lecteur dans le texte d’Orwell.

Selon vous, que peut apporter la découverte de l’œuvre de George Orwell à des lecteurs d’aujourd’hui ?

L’œuvre de George Orwell est violemment actuelle. L’auteur démontre les mécanismes du pouvoir totalitaire et offre une grille de lecture qui est toujours valable. Il met en lumière la vraie nature du pouvoir. On a souvent effectué un rapprochement entre l’œuvre d’Orwell et la propagation des fake news lors de l’élection de Donald Trump. Mais on peut également évoquer la Chine. Big Brother est plus que jamais présent dans ce pays grâce aux nouvelles technologies. La reconnaissance faciale permet l’instauration d’un système de surveillance à grande échelle. Des caméras pourront scruter et contrôler les moindres faits et gestes des habitants et définir s’ils sont de bons ou mauvais citoyens. On constate que 1984 est donc tout à fait d’actualité.

En savoir plus sur l'ouvrage

Pour aller plus loin : téléchargez la séquence pour étudier la nouvelle traduction de 1984 en classe de 3e.