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Tahar Ben Jelloun

© F. Mantovani Gallimard

À l'occasion de la parution de «La philo expliquée eux enfants» dans la collection Folio Junior, découvrez notre entretien avec Tahar Ben Jelloun.



Pour quelles raisons avez-vous eu envie d’initier de jeunes lecteurs aux concepts philosophiques ?

Je me rends dans les écoles pour parler aux jeunes élèves, notamment de cours moyen, et je me suis dit que les enfants sont capables de comprendre et de penser par eux-mêmes. Il ne faut donc pas attendre le lycée pour leur faire découvrir la philosophie. Ce que je leur propose, ce n’est pas de la philosophie historique. Ce sont plutôt des concepts utilitaires.

Comment avez-vous procédé pour choisir les notions que vous alliez aborder et définir la progression de votre ouvrage ?

J’ai tout d’abord fait une liste d’à peu près 150 concepts que je voulais aborder. Les lignes directrices étaient l’écologie, la planète, le vivre ensemble, tout ce qui nous préoccupe tous les jours. Aujourd’hui, les jeunes écoutent les médias. Ils ont connaissance des agressions, par exemple des actes racistes ou antisémites. Il faut qu’ils puissent comprendre ce qui est derrière tout cela comme dans mon livre Le racisme expliqué à ma fille.

J’ai essayé de raconter cela non pas dans un ordre alphabétique, mais plutôt comme si je racontais une histoire. À la fin de chaque concept, je fais le lien avec le suivant. L’objectif est de passer de l’un à l’autre de manière pédagogique.

Les collégiens vont rencontrer certains concepts philosophiques à l’occasion de lectures en classe. En quoi votre livre permet-il de prolonger la réflexion amorcée chez les jeunes lecteurs par la fiction ?

Les jeunes élèves ont tendance à déserter la lecture. Il faut que l’école ramène les jeunes vers la lecture. Il y a la concurrence des téléphones, des écrans, etc. C’est pourquoi il faut revenir au livre. Ce livre est en quelque sorte un prolongement de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent.

Vous avez souhaité aborder la philosophie « en racontant des histoires » aux enfants. Selon vous, comment les romans, les nouvelles, les contes ou encore les pièces de théâtre peuvent-ils être associés à une réflexion philosophique ?

La philosophie, c’est apprendre à penser et avoir une pensée propre. C’est présent dans toutes les matières. Il faut donner à l’enfant confiance en lui, et il faut lutter contre le succès horrible du complotisme. C’est pourquoi il faut apprendre à un enfant à refuser, et à dire non à n’importe quelle affirmation. L’enfant doit pouvoir dire non et prendre le temps de réfléchir pour ne pas croire tout ce qu’on lui dit.

Les Contes des mille et une nuits -sans les pages pornographiques- sont un bon exemple d’œuvre pouvant être associée à une réflexion philosophique : ça évoque toutes les valeurs, l’honnêteté, le mensonge, le vol, la trahison. De même pour L’Étranger de Camus. C’est un livre facile d’accès, qui peut donner lieu à une lecture accompagnée.

Au collège, les élèves étudient de nombreux héros aux personnalités très diverses : les héros de la mythologie, les héros chevaleresques, les aventuriers ou encore les valets rusés de Molière. En quoi votre ouvrage peut-il aider les collégiens à mieux comprendre les valeurs incarnées par ces protagonistes ?

C’est le rôle de l’enseignant de faire le lien entre la littérature et la vie. Il faut donner aux enfants des exemples concrets. Pour le racisme, je vais partir d’un exemple concret, d’une injustice. Si un élève est exclu du groupe en raison de ses origines, c’est du racisme. On peut aussi trouver des exemples chez Molière. Molière, c’est magnifique ! Toutes les grandes pièces de Molière sont faciles à comprendre et à lire.

Plusieurs disciplines peuvent être associées à votre projet : le français, l’enseignement moral et civique, les arts plastiques. Selon vous, faudrait-il intégrer la philosophie aux apprentissages scolaires du collège ?

Il faut à mon avis intégrer partout la philosophie. Il doit y avoir une sorte de réflexe. Quand le professeur donne un exercice à faire, il dit à l’élève qu’il n’a pas le droit de copier. Mais c’est quoi le droit ? Il faut expliquer à chaque fois à l’élève. L’enseignant est tout le temps un explicateur de ce qu’on fait. La philosophie doit donc être intégrée dans le quotidien des enseignants. Il faut commencer tôt. Ma fille est institutrice et elle est passionnée par son métier. Elle s’investit beaucoup et travaille énormément. L’enseignant saura réussir à intégrer la philosophie d’une manière intelligente et subtile.

Vous vous adressez à une génération marquée par un monde bouleversé (guerre, terrorisme, pandémie, inquiétude climatique). La philosophie peut-elle aider ces jeunes à espérer et conserver une forme d’optimisme ?

En tout cas, apprendre à penser devient quelque chose d’urgent. Il y a les problèmes d’environnement, de simplisme. La philosophie doit être là. Quand les jeunes parlent entre eux, ils ne parlent pas de concepts ni de valeurs. Ils sont gouvernés par les images. Il faut remplacer l’image par la pensée.

Propos recueillis par Kim-Lan Delahaye

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