«Imaginons que, dans les années 1910-1920, Valéry, Cocteau, Cendrars, Apollinaire et Larbaud aient été un seul et même homme, caché sous plusieurs "masques" : on aura une idée de l'aventure vécue à la même époque au Portugal par celui qui a écrit à lui tout seul les œuvres d'au moins cinq écrivains de génie, aussi différents à première vue les uns des autres que les poètes français que j'ai cités.»
Ainsi Robert Bréchon présente-t-il Pessoa. Les «masques» dont il parle ne sont pas de simples pseudonymes. Nés en Pessoa, Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Álvaro de Campos sont ses principaux hétéronymes. Ils ont une biographie, des opinions politiques, des idées esthétiques, des sentiments : Campos interviendra par jalousie dans la correspondance amoureuse entre Pessoa et la bien réelle Ophélia... Chacun d'eux a subi des influences particulières ; chacun d'eux possède sa propre inspiration, son propre style et son œuvre «personnelle», laquelle entretient des liens complexes avec l'œuvre orthonymique, celle que Fernando Pessoa signe de son nom.
Pour la première fois en français, hétéronymes et orthonyme sont présentés dans un même volume, qui fait une large place aux textes posthumes et propose quantité de poèmes inédits. Les traductions ont toutes été élaborées dans le souci de maintenir aussi forte que possible la tension entre la diversité des «instances créatrices» et l'unicité du grand ordonnateur que fut Pessoa.