D'Álvaro Mutis on sait, depuis la parution de La neige de l'Amiral, qu'il est l'un des grands romanciers du monde hispanique. On sait moins qu'il se considère, d'abord et avant tout, comme un poète. C'est d'ailleurs dans ses poèmes qu'est né le personnage central du Gabier, Maqroll el Gaviero, son frère, son double. C'est là qu'ont pris forme les paysages, les nostalgies, les obsessions de cette quête désespérée au bord de l'abîme qui constitue la trame de ses romans.
La somme poétique rassemblée ici dévide le fil des errances du Gabier : courses au bout des mers, descentes de fleuves, plongées dans le ventre de la terre, longues attentes nocturnes, fuites vers d'impossibles sommets, ou encore remontée dans l'Histoire jusqu'à l'Espagne du Siècle d'or et aux mythes de l'Antiquité. Avec toujours cette hantise de retrouver, au-delà de «la pauvre peau des mots», un monde d'ordre et d'harmonie, un monde intemporel, un monde d'avant le désastre. Un monde que seul peut-être l'amour fou permet d'entrevoir, la mort de rejoindre et le poème d'évoquer.