J’ai grandi à une poignée de kilomètres de Martigues, petite ville du sud-est de la France qui s’enorgueillit, avec ses canaux, son île et ses habitations colorées, du généreux surnom de «Venise provençale». C’est ici que j’ai découvert la poutargue, spécialité méditerranéenne très ancienne composée d’œufs de mulet salés et séchés.
Pour découvrir la poutargue en version originale, il faut se rendre au dernier «calen» de Martigues. Ce mot tout droit issu du vocabulaire local, qui se prononce joliment «câlin», désigne à la fois le filet, le mode de pêche et le cabanon situé sur la berge du canal de Caronte, entre le viaduc du même nom et le complexe pétrolier de Lavera. C’est dans ce vivier qui relie l’étang de Berre à la Méditerranée que, pendant les six à huit semaines estivales que dure la saison, un filet plat est tendu de manière horizontale, d’une rive à l’autre, plusieurs fois par jour. Des pêcheurs s’y engagent alors, juchés sur un petit bateau. À leur passage, les «têtus» ou mulets poutarguiers sont capturés puis ramenés au bord. La manipulation la plus délicate consiste à retirer la double poche d’œufs des femelles pleines en veillant à ne pas la percer. Les œufs sont ensuite rincés, salés, placés sous presse et mis à sécher pendant une ou deux semaines.