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Dossiers thématiques

Bande dessinée et littérature

« La bande dessinée, ce n’est pas l’art du dessin, mais l’art de la mise en scène » Joann Sfar

Renouant avec les principes de l'écriture imitative, qui est au cœur des programmes de français, l'adaptation d'œuvres littéraires en BD suppose une volonté de diffusion du texte source aussi bien qu'un rapport affectif du créateur à celui-ci. Autant de facteurs qui conduisent l'auteur à imprimer sa propre inflexion à l'œuvre originale. À travers l'étude de plusieurs adaptations en bande dessinée, nous vous proposons d'étudier diverses solutions mises en œuvre et, ce faisant, de mettre en lumière certains procédés d'écriture parmi les plus caractéristiques du neuvième art.

À travers l'analyse de plusieurs adaptations en bande dessinée, nous vous proposons d'étudier diverses solutions mises en œuvre et, ce faisant, de mettre en lumière certains procédés d'écriture parmi les plus caractéristiques du neuvième art.

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Au Sommaire

> Zazie dans le métro : la question du langage

> Aziyadé : la question du je et du souvenir

> Le petit bleu de la côte Ouest : raconter/mettre en image une scène dramatique

Adaptation « Le grand Michu », « Angeline » et « Jacques Damour »: trois nouvelles de Zola

Zazie dans le métro : la question du langage - la ville

« Paris n’est qu’un songe, Gabriel n’est qu’un rêve (charmant), Zazie le songe d’un rêve (ou d’un cauchemar) et toute cette histoire le songe d’un songe, le rêve d’un rêve, à peine plus qu’un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh ! pardon). » (Gabriel, p. 92)

Oubrerie, Zazie dans le métro, p. 30

p. 30 de la bande dessinée (C. Oubrerie, collection Fétiche, Gallimard Jeunesse) à comparer avec les pp. 87-90 du roman de R. Queneau (Folio Plus Classiques).

Les problématiques abordées dans l’oeuvre emblématique de Queneau, la conduite de la fiction romanesque, la vérité du personnage, le rapport entre la littérature, le monde et le langage en font une oeuvre riche, susceptible d’être abordée dans le cadre de l’étude du roman en classes de seconde et de première mais aussi, en suivant l’interprétation de Michel Bigot, d’en faire un « roman baroque », prolongement contemporain des doutes métaphysiques et du goût pour le travestissement de la fin du XVIe.

L’extrait de Zazie dans le métro que nous proposons d’étudier est central à plusieurs titres. Il s’agit en effet de la visite de Zazie à la Tour Eiffel en compagnie de son oncle Gabriel et de Charles, l’ami chauffeur de taxi. Cet épisode prend place au centre du livre, chapitre VIII, où le temps est suspendu pour permettre une discussion à bâtons rompus avec les deux hommes. C’est ici qu’on s’élève pour méditer et que les principaux thèmes de l’œuvre (le lien entre la réalité et le mensonge, le statut de Zazie, la sexualité, le sens de l’existence) sont abordés. Dans sa lecture fidèle de l’oeuvre de Queneau, C. Oubrerie a conservé les épisodes principaux tout comme la cohérence de l’ensemble, permettant ainsi un accès aisé au roman. Il relève néanmoins un défi de taille : l’image y joue un rôle secondaire (rareté des descriptions et des portraits) et la transcription graphique de l’œuvre ne va donc pas sans poser problème.

Deux planches cohérentes

Première observation : l’auteur semble rechercher une forte cohérence narrative d’une planche à l’autre, puisque la dernière image n’est pas vraiment une conclusion. La trame du roman est traitée de manière continue sur les deux planches, sans que la séquence soit interrompue. L’interruption a bien lieu, mais à la 4ème vignette de la planche 31. On peut d’ailleurs noter qu’en termes de couleurs ou de répartition des vignettes, les deux pages sont très similaires.

Ellipses

L’auteur s’est livré à un nombre important d’ellipses, ce qui s’explique d’abord par l’obligation de procéder à des coupes dans le roman d’origine. Dix répliques disparaissent ainsi d’un texte à l’autre. D’autre part, rappelons que la bande dessinée est un art de l’ellipse puisqu’à première vue il n’y a nulle continuité d’une case à l’autre - toutes séparées par du blanc - , sinon par la reprise d’éléments (texte, personnages, lieux). Ces ellipses, indispensables dans toute oeuvre narrative, C. Oubrerie va jusqu’à les pratiquer sur les mots eux-mêmes (Case 2 : « Zêtes rien snob. » pour « Vzêtes rien snob » dans le roman de Queneau), une manière de s’approprier le texte et de le rendre parfois plus rapide. On peut remarquer à ce titre les libertés prises par l’auteur à l’égard du texte source : planche 31, Gabriel est supposé attendre Charles « les mains posées sur ses genoux largement écartés », ce qui n’est de toute évidence pas le cas.

Langage

D’une façon générale, on peut dire que Zazie est entrée dans l’histoire littéraire du fait de son traitement original du langage. Queneau a pu expliquer dans ses écrits théoriques qu’il cherchait à traduire dans l’écrit les spécificités du langage parlé. Zazie est un bon exemple de cette démarche. C. Oubrerie reprend donc, à de rares exceptions près, le langage parlé des personnages queniens, avec des élisions (C6 « t’es qu’une môme ») propres au lexique familier (C5 : « C’est marant »). Les bulles, font la part belle au discours direct et traduisent bien ainsi l’oralité du roman. On peut d’ailleurs isoler la case 3, qui par un effet de zoom arrière isole le sommet de la Tour Eiffel sur fond de ciel bleu et met ainsi en lumière l’importance de leur discours : les bulles occupent la moitié de la vignette et les questions se font très générales, puisqu’on y évoque le destin amoureux de Zazie. On pourrait rappeler ici que le chapitre VIII est consacré à la méditation du fait de l’immobilisme des personnages, Zazie se trouvant sur une plateforme à la surface limitée et Gabriel attendant sa nièce. Il livrera quelques pages plus loin son grand monologue désenchanté et érudit. Les personnages ne pouvant pas se déplacer, ils parlent et pensent, passages contemplatifs qui font aussi du roman de Queneau une fantaisie philosophique.

Élévation

Conformément au roman, les planches 30 et 31 font s’opposer deux espaces, le haut et le bas. On peut noter que ce schéma d’opposition cher au roman, dont le titre déjà s’oppose au contenu puisque Zazie ne verra pour ainsi dire pas le métro, place aux deux extrêmes Zazie et Gabriel. Mais cela n’empêche pas les deux protagonistes de réfléchir tous deux avec la même intensité. On doit rappeler ici, avec Michel Bigot, que la Tour Eiffel apparaît comme un symbole d’élévation spirituelle qui conduit Zazie à poser de profondes et déroutantes questions. On doit noter également que si Paris est l’un des personnages principaux du roman, un passage par la Tour Eiffel devait faire l’objet d’un traitement particulier pour C. Ouberie. Passage obligé pour tout visiteur de la capitale, elle est représentée sous différents angles (mais jamais entière, comme pour rester à hauteur d’hommes). On y reconnaît tout l’art de Queneau, de savoir faire cohabiter dans un même espace du trivial (la Tour Eiffel, cliché touristique, le langage parlé, les postures banales) et du métaphysique (le questionnement sur la sexualité, le couple et le désir).

Mouvements

Afin de dynamiser la scène et en l’absence de véritables indications sur les déplacements des personnages, C. Oubrerie multiplie les angles de vue. Il se livre ainsi, de manière fort quenienne, à un véritable exercice de style virtuose : on passe de la plongée (C1, C4, C7 éventuellement C8) à la contre-plongée (C2, C3, C5, C7). On bascule également du plan d’ensemble (C2 et C3, C4 et C6) au plan moyen (C1, C5) puis au gros plan (C7, C8 et C9). Cette énumération des procédés d’écriture s’appuie sur des mouvements de zoom arrière (C1 à C3) et de zoom avant (C3 à C5) répétés de manière plus rapide et plus courte jusqu’à la fin de la planche. Le point de vue est donc protéiforme et mouvementé, comme pour rappeler le point de vue externe du roman, mais également pour donner le plus de vie possible aux personnages et à leurs pensées. Ce « vertige » du point de vue est en outre à l’image de celui de Gabriel, mais aussi de l’agacement de Charles tout comme de la verve décourageante du vibrion Zazie. On peut enfin remarquer que le regard du narrateur semble ici tourner autour de ses personnages, en modifiant sans cesse l’angle de vue et le personnage prioritaire dans chaque case. Cet effet est accentué par les diagonales omniprésentes dans les cases, notamment grâce aux balustrades et aux ferronneries de la Tour.

Lumières

Le traitement des lumières est lui aussi particulièrement soigné dans cette planche. L’attention du lecteur est tout d’abord portée sur les ombres qui permettent de placer en retrait un figurant ou encore de mettre en valeur un personnage, comme le font les ombres portées de la case 7. La quête de la vérité de Zazie (dont les assertions sont fréquentes dans cette séquence) s’appuie aussi métaphoriquement sur cette sortie de l’ombre et sur cette lumière qui irradie la jeune fille, en particulier aux cases 5 et 6. Le moment est en effet essentiel pour Zazie : ses diverses interrogations intimes, qui la conduiront à l’affirmation finale du roman (« J’ai vieilli »), trouvent ici un moment privilégié pour se déployer.

Postures

En observant les corps tels que les dessine C. Oubrerie, on ne peut s’empêcher de remarquer une différence notable entre Zazie et Charles. Alors que Zazie emplit peu à peu l’espace et s’illumine, Charles va peu à peu s’affaisser, comme si les questions indiscrètes et impudiques de Zazie le conduisaient à se replier sur lui-même. Il est bien un personnage romantique, celui qui se passionne pour le courrier du cœur et semble gêné par les interrogations pressantes de sa voisine, comme le montrent ses gestes des cases 1 et 8. Le visage de Zazie, élément sur lequel culmine la planche, reflète parfaitement l’ethos du personnage : une savante synthèse d’impertinence et de candeur, de provocation et de spontanéité. Sa soif de connaissance semble même ici la dépasser, comme elle le rappelle à la case 8. Et le choix du lieu du dialogue, symbole dont le caractère phallique sera rappelé quelques lignes plus loin par Gabriel, semble la galvaniser. La scène est sans aucun doute aussi une scène de séduction juvénile (C6), que soulignent les changements de points de vue : incontestablement, Zazie « tourne autour » de Charles.

Baroquisme ?

La planche de C. Oubrerie souligne par nombre d’aspects un des versants importants du texte de Queneau, que Michel Bigot analyse dans son essai : le baroquisme de l’œuvre. Sans aller jusqu’à faire des choix du dessinateur une « vanité » en bande dessinée, force est de constater qu’on y trouve une méditation sur le caractère indécis de la vie, manifestée notamment par l’expression du doute ou par une multiplication des tentatives de voir, de mieux voir (mains sur les yeux en C1, jumelles en C1, C2, C4, personnages qui scrutent), comme si le réel échappait toujours aux personnages. Dernière touche de baroquisme : le mouvement incessant du point de vue, la préférence des lignes brisées (Zazie rappelle « zigzag ») et l’emploi ostentatoire des virtuosités narratives de la bande dessinée, en particuliers des jeux de regards, qui établissent ici une complicité amusée avec le lecteur.

Prolongement

Étude de l’adaptation cinématographique de Louis Malle (disponible en DVD), qui a tenté de reproduire par les moyens du cinéma les procédés stylistiques propres à Queneau.

Aziyadé : la question du je et du souvenir - La forme narrative complexe

« Ai-je bien dit – et cependant sans forcer – que ce roman vieillot – qui est à peine un roman – a quelque chose de moderne ? » (Roland Barthes, « Pierre Loti : Aziyadé », Nouveaux essais critiques

Loti, Aziyadé

Bourgeron, Aziyadé

Bourgeron, Aziyadé, p. 122

p. 122 de la bande dessinée (F. Bourgeron, Futuropolis) à comparer avec les pp. 236-238 du roman de Pierre Loti (Foliothèque).

Le récit de Pierre Loti Aziyadé présente de nombreuses particularités qui en font son intérêt. Il est non seulement une histoire d’amour tragique de la fin du XIXe siècle entre un jeune officier de marine anglais, Loti, et une jeune femme turque, Aziyadé, enfermée dans le harem de son mari, mais aussi un étrange « roman » composé de fragments (notes, lettres à ses proches, journal), où se mêlent le vrai et le faux.

La fin

Aziyadé est une histoire tragique en cinq parties. Les obstacles culturels, légaux, physiques et linguistiques sont innombrables entre les deux amants. Le seul endroit où ils pourront d’abord se rencontrer est une barque au large de Salonique. Dès cette première rencontre, la mort rôde : ils envisagent d’ailleurs de se suicider ensemble à la fin de cette première étreinte. La page qui nous intéresse relate la découverte de la mort d’Aziyadé, annoncée par Kadidja, servante et confidente de la jeune Turque.

Tragique

La mort était prévisible, elle n’en est pas moins violente. Cette violence se traduit d’abord dans les sons, qui rendent compte des cris de la servante, mais surtout des perceptions altérées de Loti. Son incompréhension est double : Kadidja s’adresse à lui en turc et il « ne comprend pas de suite » puisque la traduction française de Eûlû n’apparaît que dans la troisième vignette. L’écriture graphique traduit cette dichotomie par une superposition de textes : les mots de la servante, disproportionnés et hors bulles, sont recouverts par une bulle, une voix-off, le texte du « journal » de Loti (Case 1).

Espace

Cette violence des sons associée à une violence des sentiments (la perte de l’être aimé) est également traduite par un traitement original de l’espace. F. Bourgeron use souvent dans son œuvre de vignettes allongées, qu’elles soient verticales (pour donner le sentiment de grandeur de la ville lorsque Loti découvre pour la première fois Istanbul, ou pour retranscrire les lettres) ou horizontales comme c’est le cas ici. Cette mise en page permet certes de mettre en valeur dramatiquement la case 3, où Loti prend conscience de la mort de son aimée, mais aussi de confiner les personnages dans un espace étroit qui les écrase, métaphore de la douleur et du malheur. L’espace ainsi dégagé par les personnages permet aussi des jeux de textes : une emphase pour les cris de Kadidja et la violence de la nouvelle (C1), un decrescendo brutal pour le traitement de l’abasourdissement du narrateur (C4, symétrie inversée de C1), souligné notamment par la diminution de la typographie et par la réduction de la taille de la bulle de droite. Le parallélisme des cases 1 et 4 est marqué par le cadrage identique des personnages, différent cependant des vignettes 2 et 3 qui correspondent à la prise de conscience et obéissent pour la C2 à une plongée dramatique et divine et pour la C3 à un gros plan de Loti dont la position des mains marque la détresse.

Couleurs

Dans les trois premières bandes de la planche, deux couleurs dominent : le rouge pour les personnages et le gris pour le fond, que constituent à la fois le ciel et le sol. Cette bichromie est une façon de souligner encore la puissance de la déflagration. C’est sans doute un des passages-clés du roman et ces effets graphiques le rappellent bien.

Le rouge est une couleur tragique par excellence : couleur de l’effusion de la passion, couleur du sang ; son caractère dramatique se perçoit parfaitement lorsqu’on revient à des couleurs naturalistes en C5. On peut remarquer ici que la scène est traitée en focalisation interne, comme le signale également le temps de compréhension du narrateur. Le récit de Loti, imitation d’un journal, est naturellement écrit à la première personne et tout est fait pour que le lecteur y voie des notes authentiques. Cet aspect, F. Bourgeron le marque par les trois bulles en C1, C4 et C5, qui correspondent au texte du « journal de Loti », sorte de voix-off ou de voix intérieure dont la temporalité - analyse simultanée ou après coup ? - est difficilement déterminable.

Ainsi la couleur rouge révèle l’intensité de la scène et sa perception par Loti. La dernière image serait un retour à l’objectivité de la narration, comme le montre le plan d’ensemble qui est une prise de distance avec l’événement. On peut enfin signaler que les choix de coupes faites par l’auteur – qui cite par ailleurs textuellement le roman – contribuent à dramatiser l’extrait encore plus.

Langage, sincérité et travestissement

La langue turque a plusieurs fonctions dans le récit de Loti. Elle est d’abord pour lui un signe d’attachement à sa terre d’élection et d’adoption, la Turquie. Pierre Loti a effectivement appris le turc, ce qui peut expliquer le « tout de suite » de la première vignette. Mais le turc est aussi pour le lecteur un signe de la vérité du texte et du voyage, un effet de réel de l’exotisme et une garantie de dépaysement. En ce sens, ces éléments renforceraient le pacte de sincérité d’un tel texte et en augmenteraient l’effet sur le lecteur, en particulier dans une telle scène. Les jeux avec les typographies d’Eûlû, notées avec l’alphabet latin qui dénote sa compréhension par Loti, le montrent bien. Or la réalité de l’histoire d’amour d’Aziyadé et de Loti est parfaitement contestable. Réécriture orientaliste de Roméo et Juliette, le texte est d’autant plus fictif qu’il clame sa sincérité. Et les procédés qu’il met en place sont des topos du genre. On peut lier cela au goût de Loti pour le travestissement, qui se traduit notamment par celui de se vêtir en harmonie avec la ville. En ce sens, on doit aussi être attentif à ce que ce passage peut receler d’artifices, d’emphase et de citations intertextuelles, en particulier dans les cases C2, 3 et 4, où F. Bourgeron joue aussi à reprendre des postures codifiées, des attitudes théâtrales.

Ouverture et Histoire

La dernière case de la planche joue un double rôle. Elle crée d’abord un lien entre cette scène et la suite du récit : Loti décidera de s’engager dans l’armée turque pour mourir au combat et oublier la disparition de son Eurydice-Aziyadé. Elle permet un retour à une situation apaisée, moins intense après le drame de la mort. Elle est donc une façon de montrer comment Loti va lier son destin à celui de son aimée par un suicide indirect. Mais cette ultime image est aussi une manière pour l’auteur de rappeler que Pierre Loti inscrit constamment son œuvre autant dans la topographie que dans l’Histoire, dans un contexte précis, celui de la fin de l’Empire Ottoman. En ce sens, il n’a de cesse de dresser un parallèle à visée hyperbolique entre la fin de son amour, qui lie Orient et Occident, et les derniers combats d’un monde qui lui est cher. Ce parallèle, F. Bourgeron le souligne en ajoutant – seule liberté prise dans ce passage - en clausule de la planche « Et Aziyadé était morte », suggérant par là une sorte de marche funéraire involontaire des soldats.

Prolongements

Comparaisons des paysages de la bande dessinée avec des prises de vues de Constantinople de la fin du XIXe siècle mais aussi avec les dessins de Loti lui-même.

Mise en parallèle avec des textes et des tableaux orientalistes, pour montrer notamment la place de la Turquie et d’Istanbul dans l’imaginaire. On peut ainsi s’appuyer sur l’exposition « Voyage en Orient » de la BNF. Réflexion sur le texte et l’intérêt de sa structure morcelée et protéiforme : œuvre fictionnelle, fausse autobiographie ou confession sincère ?

Analyse du travail sur les personnages, à partir de portraits de Loti (par exemple celui de Lucien Lévy-Dhurmer qui figure en couverture de l’édition Folio) et du personnage créé par F. Bourgeron.

Le petit bleu de la côte Ouest : Raconter/mettre en image une scène dramatique

« Une fois, dans un contexte douteux, il a vécu une aventure mouvementée et saignante ; et ensuite, tout ce qu’il a trouvé à faire, c’est rentrer au bercail. » (Jean-Patrick Manchette, p. 184)

Manchette, Le Petit bleu de la côte Ouest

Tardi, Le Petit bleu de la côte Ouest

Tardi, Le Petit bleu de la côte Ouest, p. 39

p. 39 de la bande dessinée (J. Tardi, Futuropolis) à comparer avec la p. 84 du roman de J. P. Manchette (Folio policier).

Le roman de Jean-Patrick Manchette reprend un schéma efficace de l’homme innocent coupable par méprise, immortalisé par La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock ou encore par Duel de Spielberg, Diva de Beineix, Marathon Man de Schlesinger ou Charade de Donen : des tueurs professionnels tentent d’abattre un parfait inconnu, ce dernier ignorant les raisons de ce soudain acharnement et tentant maladroitement d’échapper à cette situation. Le roman de Manchette est également caractéristique du renouveau du polar français dans les années soixante-dix, qui vit se mêler intrigue nerveuse à suspense, considérations politiques et musique jazz (c’est le sens du titre). Le dessinateur Jacques Tardi propose une adaptation très fidèle au roman, effectuant un travail important dans la reconstitution de l’atmosphère et dans le découpage rythmique.

Course-poursuite

Le roman de Manchette est construit comme une course-poursuite violente et effrénée entre Georges Gerfaut, cadre dans une société d’informatique et pris malgré lui dans une affaire de gangsters qui le dépasse, et les tueurs Carlo et Bastien. L’intérêt de ce duel réside dans le déséquilibre entre les deux parties : déséquilibre en nombre, en moyens et en expérience, puisque Gerfaut ne peut que fuir et sa cacher tandis que les tueurs tentent simplement d’exécuter un contrat. Le lecteur s’identifie donc à Gerfaut, homme ordinaire, marié et père de famille, anti-héros par excellence, qui au vu des événements récents a quitté sa famille et s’est procuré une arme. Qui plus est, Gerfaut est un héros sympathique bien que désabusé, contraint de faire violence puisqu’il s’est retrouvé mêlé à cette affaire après avoir prêté secours à une victime de nos deux tueurs. Le déséquilibre entre les personnages se traduit dans la planche par l’expression de Gerfaut (C5) et sa tenue, costume noir et chemise blanche. Le passage qui nous intéresse renvoie à la troisième rencontre entre Gerfaut et ces tueurs qui, après deux précédentes tentatives d’assassinat, le reconnaissent dans une station-service.

Véhicules

Les romans de Manchette ont la particularité d’être scrupuleusement ancrés dans le réel : références à l’actualité, aux lectures et musiques de ses contemporains, reconstitution d’un décor réaliste, recours au langage parlé, etc. Ici, le réalisme repose d’abord sur la reconstitution du décor : une station-service dont on aperçoit l’enseigne (détournement de la firme Texaco en clin d’œil au «M» de Manchette ?) en C1, C2, C5 et C6, les pompes, la boutique (C5) et le pompiste, une route et sa bordure, visibles dans les trois premières vignettes, et les abords d’une ville la nuit en C6 (Mâcon dans le texte original). Reconstituer ce cadre demande à l’auteur de la documentation et de l’observation. Son travail s’apparente donc à celui des naturalistes du XIXe siècle. Mais l’élément le plus réaliste de la scène, ingrédient indispensable au roman moderne, est sans doute la reproduction fidèle des deux modèles d’automobiles, la Renault 16 de Gerfaut (une Ford Taunus dans le roman, léger écart avec l’original qui rend le véhicule moins exotique) et la Lancia des tueurs (Une Beta Berline 1800). Les deux voitures sont représentées sous tous les angles et, afin d’augmenter le degré de vérité, on peut même lire leurs plaques minéralogiques (C4, C7). En plus de donner à la scène une réalité quasi cinématographique, les deux automobiles trahissent l’ethos des personnages : une voiture de sport pour les tueurs, pressés d’en finir et de quitter rapidement le théâtre de leur crime, une voiture plus commune pour notre anti-héros Gerfaut.

Vitesse

Ces véhicules ne renforcent pas seulement le caractère documentaire du roman. Ils donnent aussi à la scène sa tournure dramatique puisque la voiture est à la fois rapide et peu maniable pour commettre un crime. La vitesse de la Lancia est suggérée à l’aide de plusieurs procédés graphiques conventionnels : traces de pneus, fumée blanche et onomatopée de crissement (C1), traits noirs continus à l’arrière du véhicule qui dénotent la vélocité (C1, C2, C3, C6), « rayonnement » accompagné de fumée et de projections autour du véhicule vu de face (C4). Certains éléments de dialogue ou d’interventions du narrateur le confirment par le champ lexical de la vitesse : « Vite » (C1), « se précipita », « précipitamment » (C6).

Mouvements

Le sentiment de vitesse de la scène est encore accru par un jeu complexe sur l’espace. En effet, Tardi a choisi d’étendre la scène, de la dilater, à l’inverse de ce qui se fait généralement dans les adaptations graphiques de romans. Ceci peut s’expliquer par le fait que les rencontres entre Gerfaut et ses tueurs sont relativement rares et qu’elles constituent un aspect important de l’action du roman. Les trois premières vignettes correspondent au demi tour de la Lancia, mouvement décomposé rendu ainsi plus impressionnant. La division en trois rompt la continuité et présente trois moments distincts de la manœuvre de la voiture : le freinage, le demi-tour, le redémarrage. Le rythme s’accélère ensuite avec les deux cases horizontales (C4 et C5 : non seulement la voiture prend de la vitesse mais elle a identifié sa cible, le format des cadres suggérant aussi l’angoisse, étymologiquement le « resserrement » des personnages) qui sont construites selon le principe du champ/contre-champ. On passe donc alors au point de vue de Gerfaut, qui sera conservé jusqu’à la fin de la planche. L’ultime accélération (qui se traduit dans le roman par la multiplication des phrases brèves au passé simple, la parataxe, l’importance des verbes d’action) est rendue par un nouveau découpage original : à une vignette horizontale font suite deux petites vignettes verticales, qui traduisent une gradation rythmique. Celle-ci compense en quelque sorte la citation littérale de la vignette 6 (« Gerfaut se précipita »), qui « déborde » sur la vignette 7, assurant ainsi une liaison dynamique entre les deux cases. Les angles de vue symétriquement inversés des cases 7 et 8 contribuent aussi à dramatiser la scène. On passe, pour plus d’efficacité, du point de vue des personnages (C4 et C5) à celui d’un narrateur omniscient, déjà présent dans le texte de la bulle en sixième vignette. La vignette finale est elle aussi particulièrement dramatisée : au coup de feu correspond à la fois l’éclatement du parebrise de la Lancia mais aussi une accumulation de hachures à visée hyperbolique, la blancheur de la main et du visage du personnage mettant en valeur sa détermination. En somme, on trouve dans les trois bandes à symétrie centrale de la planche une grande variété de types et d’agencements de cases, renforcée par la variété des angles de vue, qui donnent à la scène la violence voulue.

Sons

L’intensité dramatique de la scène repose également sur les divers effets sonores employés par Tardi : cris des personnages, traduits par une police de grande taille et les points d’exclamation (C1, C7, C8, en particulier, en C3, le rire d’un des tueurs), sons de la voiture (C1, « un horrible hurlement de pneus » écrit Manchette) et du revolver (C8). Ces sons renforcent la violence de la scène, à l’image du vocabulaire grossier (C7) traditionnellement employé dans ce type de récits.

Esthétique du roman noir

Le récit de Manchette, en plus d’une intrigue à caractère policier (tueurs à gage au service d’une organisation criminelle, meurtres, courses-poursuites, vengeances) fait également la part belle à une esthétique plus contemporaine et cinématographique, où l’enquête et le mystère sont laissés de côté au profit d’une peinture sociale critique teintée d’humour noir et d’un cadre naturaliste. Si le polar sait jouer des clichés, ceux liés à l’élucidation d’un crime en particulier, il fait un sort tout particulier à ses personnages : les tueurs sont aussi cruels que sentimentaux. Et, comme on peut le voir sur cette planche, le héros n’a rien d’héroïque. En effet, Gerfaut ne conduit pas l’intrigue, il la subit plutôt sans la comprendre et s’interroge sans cesse sur sa raison d’être. Il incarne plus le désenchantement du blues que les qualités de courage et de force qui font le héros. Son patronyme ne peut d’ailleurs qu’être ironique : il n’est ni l’oiseau de proie, ni le « conquérant » du poème d’Heredia. À ce titre, son langage paraît particulièrement incongru puisqu’il crie un « haut les mains » dont Tardi souligne le ridicule (« niaiserie » dans le texte original) par un jeu de typographies et de bulles contrastées. Mais on se doit néanmoins de relever certains éléments qui font de ce héros maladroit un personnage positif qui, à la manière d’un Cary Grant, tente de tenir tête aux méchants du monde : il a de bons réflexes (C6) et sait viser. Le héros de roman noir doit, malgré son inadaptation, survivre aux aléas du sort pour finir presque involontairement par rendre justice. Ses valeurs sont celles du jazz West Coast: humilité, tolérance, sens du beau et de l’harmonie, capacité d’improvisation et douceur. En bref, contrairement à ce que semble montrer cette séquence de prime abord, le héros de polar est un humaniste.

Prolongements

Incipit, excipit : le début et la fin du roman de Manchette se font écho. Tardi a su tirer profit de procédés graphiques pour le souligner. En effet, les chapitres 1 et 24 du roman sont traités chacun en trois planches, dont la symétrie est accentuée par le fait qu’elles ont toutes des marges noires. Elles sont ainsi isolées du reste du récit et jouent par rapport à lui (il s’agit donc d’une analepsie) le rôle d’un prologue et d’un épilogue. Le lien entre ces deux séquences est encore renforcé par le fait que Tardi ait repris les mêmes onze vignettes des trois premières planches dans les trois dernières, simplement en en inversant l’ordre, avec pour seule différence le texte, fidèle à celui de Manchette. Cet audacieux palindrome graphique crée un parfait effet de clausule. Analyse du film de Jacques Deray Trois hommes à abattre (1980), inspiré du roman de Manchette.
Etude du film d’Hitchcock La Mort aux trousses, à partir de son scénario.

Adaptation: « Le grand Michu », « Angeline » et « Jacques Damour », trois nouvelles de Zola

Les éléments stylistiques aperçus au gré de ces trois exemples d’adaptation peuvent conduire à un réinvestissements de ces procédés graphiques pour réaliser une bande dessinée à partir d’une nouvelle de Zola. Le texte est aisé à répartir entre les élèves. Le travail de mise en image requerra une parfaite compréhension de celui-ci et de ses solutions narratives. On peut proposer ici quelques pistes de réflexion pour le travail d’adaptation.

Zola, Trois nouvelles

La question du registre et du genre

Les trois nouvelles illustrent par leurs différences l’étendue du talent de Zola. On passe ainsi du comique du souvenir d’enfance (Le grand Michu) au fantastique et au lyrique de l’histoire de fantômes (Angeline) et enfin au pathétique et au dramatique du récit de vie naturaliste (Jacques Damour). À chaque type de texte peut correspondre un type de dessin, du plus stylisé ou caricatural au plus réaliste, en fonction du ton de l’œuvre.

La planche

Il s’agira pour l’adaptation de découper l’ensemble du texte (en s’appuyant d’abord sur les chapitres, puis à l’intérieur de ceux-ci sur les séquences de texte) afin d’obtenir, par exemple, deux planches par élève. La classe sera amenée à réfléchir aux scansions du texte, à la progression de l’intrigue qu’il s’agira de synthétiser, en se fondant par exemple sur une étude du schéma narratif. La planche peut ainsi former une micro-unité, en fonction aussi de l’importance que l’on attribue à certaines scènes (la révolution des enfants dans Le grand Michu, l’apparition d’Angeline). Ce passage conduira nécessairement à des choix au sein de l’intrigue, même si le texte est court.

Les vignettes

Chaque séquence ainsi découpée devra ensuite être subdivisée en vignettes. On peut choisir pour plus de simplicité de s’en tenir à un nombre fixe de cases identiques pour chaque planche (comme pour Zazie) ou au contraire chercher des effets de sens dans le jeu sur les formats et la disposition de ces vignettes.

Les bulles

Découper le texte amène ensuite à faire des choix quant à la figuration de ce texte dans les cases. On dispose pour le discours direct des bulles reliées à des personnages, qui peuvent traduire tout ou partie des dialogues de la nouvelle. On peut également s’appuyer sur des textes encadrés qui peuvent rendre compte du discours du narrateur interne ou du narrateur omniscient. L’équilibre entre les deux et le jeu des éléments de texte dans la vignette devront permettre une lecture aisée du texte et laisser une place de choix aux images. On ne manquera pas non plus de faire appel à du texte en dehors des bulles et aux effets étudiés chez Tardi et Bourgeron. Les jeux typographiques pourront traduire les sentiments des personnages et dynamiser la séquence.

Le décor

Dans la mesure où les nouvelles se situent toutes trois à la fin du XIXe siècle, et dans le cas où les élèves ne souhaiteraient pas moderniser la nouvelle, on pourra les inviter à effectuer des recherches sur les quartiers (la rue des Envierges ou le quartier des Batignolles à Paris, les environs d’Orgeval) ou sur les lieux évoqués dans les nouvelles (une grande maison hantée pour la Sauvagière d’Angeline, un hôtel particulier parisien, une boucherie, une école de garçons de la fin du XIXe. On pourra aussi s’intéresser aux divers éléments de décor (véhicules, rues, ponts, mobilier urbain, tables de réfectoire ou de salle à manger, etc.) qui donneront de la vie aux images. Pourquoi pour ce faire ne pas s’inspirer de photos prises par Zola lui-même ou à celles de photographes de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle, comme Eugène Atget par exemple (dont on peut trouver des reproductions sur le site suivant : expositions.bnf.fr/atget) ?

Les personnages

Il s’agira tout d’abord d’identifier et de justifier leur apparence en fonction de leurs caractères et qualités suggérés par le roman (force brute et douceur de Michu, voire de Jacques Damour ; caractère inquiétant de la mère Toussaint) et des portraits physiques présents dans le texte. Ces passages pourront être isolés afin de servir de point de départ pour le portrait, que l’on choisisse ensuite de prendre le contre-pied de ces indications ou de les suivre à la lettre.

On pourra pour les coiffures et costumes se fonder là encore sur une documentation de l’époque, en travaillant sur les vêtements du XIXe siècle. Les classes sociales des personnages transparaîtront aussi à travers ces choix : on pense notamment aux oppositions vestimentaires entre Damour le miséreux, son ancienne femme Félicie, bourgeoise installée et sa fille Louise, devenue Lorette. On devra également se poser la question des hiérarchies entre personnages. Faudra-t-il les conserver tous ? Comment faire ressortir graphiquement les personnages principaux et les figurants ?

Enfin, on accordera une importance toute particulière à la représentation du narrateur interne dans Le grand Michu (un camarade de classe de Michu) et dans Angeline (un double de Zola lui-même). Devra-t-il être représenté comme Loti dans la bande dessinée de Bergeron ? Où pourra-t-on se contenter d’une voix-off et des regards directs des autres personnages ? Cette question rejoint celle du point de vue à adopter dans la retranscription des récits. Et là encore, la liberté peut être de mise.

Le traitement du temps

Les nouvelles de Zola comportent des récits rétrospectifs plus ou moins longs. La bande dessinée, comme le cinéma, emploient des procédés spécifiques pour signaler cette mise à distance temporelle. Ainsi, pour le récit de Berru au sujet du destin de la famille de Jacques durant son absence dans Jacques Damour, on peut opter pour un changement de couleurs, un changement de bordure de la vignette ou encore, pour l’incorporation dans la vignette, du personnage narrant.