«J'aime bien dessiner comme j'écris, car écrire c'est déjà dessiner.» Pef
Dossier consacré à Pef, avec une biographie, un entretien, une présentation de ses ouvrages, ainsi que des activités pour le cycle 3 à partir des albums La belle lisse poire du prince de Motordu et Les tables de la fontaine.
A découvrir également : le dossier pour le cycle 2.
Au sommaire : Biographie de Pef - Entretien - Livres - Activités pour le cycle 3 : La belle lisse poire du prince de Motordu - Les tables de La Fontaine
«Je suis né en 1939, à Aramon, près d’Avignon, entre le chant des cigales et celui des sirènes. Premières années de survie, entre bombardements et patrouilles ennemies, dans l’école de mes parents instituteurs. Plus tard, depuisles fenêtres de différents logements de fonction, j’ai pu observer, d’une région de France à l’autre, le petit peuple des enfants plongé dans les rudes tâches des récrés. Lycéen atteint de redoublement chronique, incapable de dépasser la propédeutique lettres, je trace mes premiers dessins d’humour. Ce qui me vaut d’être déclaré fou et m’évite ainsi de partir pour la guerre d’Algérie.
“L’usage du monde”, cher à Montaigne puis à Nicolas Bouvier, me conduit ensuite au journalisme, à la photographie, aux essais de voitures de course et aux cosmétiques pour dames pendant une vingtaine d’années.
Mon premier livre, Moi, ma grand-mère…, n’en est pas vraiment un. Juste un cadeau pour celle qui m’offrit mes premières tartines de beurre avec de petits morceaux de chocolat dessus après les disettes de la guerre.
Deux ans plus tard naît Motordu, en souvenir d’un premier jeu de mots… à l’entrée de la cour d’école de mes 8 ans. Cent cinquante livres ont suivi. Mes lecteurs, de 6 à 12 ans, aussi... Grâce à eux, j’ai découvert les enfances du monde, de Djibouti à Philadelphie et de Gennevilliers à Pithiviers.
Pour leur tenir encore la main, j’écris des livres pour grands sans autres images que celles des mots, qu’il s’agisse de romans ou de poésies. Je vis sur la rive de l’Orne, en Normandie. Geneviève, mon épouse, s’occupe de la couleur de mes albums.»
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Pef, vous êtes l’auteur et l’illustrateur d’une œuvre de près de cent cinquante ouvrages, lue par des millions de lecteurs, dont les premiers sont désormais parents et font lire vos livres, en particulier La belle lisse poire du prince de Motordu, à leurs propres enfants. Vous souvenez-vous du véritable point de départ, quand tout a véritablement commencé ?
Mes parents étaient instituteurs, nous habitions un logement de fonction attenant à l’école, à Aramon, près d’Avignon. À l’époque, il n’y avait pas encore de maternelle, alors on m’avait mis dans la classe de mon père. Tout comme Marcel Pagnol, j’ai appris à lire rien qu’en écoutant les leçons de mon père destinées à ses élèves plus âgés que moi. Mais lorsque ce fut mon tour d’apprendre à écrire, et que, pour la première fois, j’ai trempé ma plume dans l’encre bleue et attaché un u à un o pour former le son « ou », je me suis écrié « ouuuh-ouuuh ». J’avais soudain pris conscience du pouvoir extraordinaire de l’écriture : la petite ficelle bleue traçant les lettres ferait venir à moi tous les loups du monde. Ce fut là le grand départ.
Et le dessin ?
C’est venu plus tard, en « vélodidacte », car en autodidacte, c’eût été trop rapide. J’ai redoublé ma terminale et le cours de philo était une vraie torture, je m’y ennuyais terriblement. Je dessinais pour tuer le temps. À la même époque, j’avais découvert, chez le coiffeur, les magazines Le Hérisson et Marius, imprimés respectivement sur du papier vert et du papier rose, remplis de blagues, de dessins humoristiques, en particulier ceux de Dubout, qui avaient cette dinguerie généralisée, avec ces foules, cette accumulation, ces grosses dames. Et chez un copain, dont le père était abonné à Paris Match, je suis tombé sur les dessins de Bosc et de Chaval en 3e de couverture. C’était d’une telle limpidité dans le trait, dans le gag, dans la signification : une vraie révélation. Ne restait plus qu’à trouver le déclencheur, ce fut un concours de dessin de la revue L’Éducation nationale, auquel j’ai participé, en cours de philo, bien caché derrière l’immense carrure d’un camarade champion de rugby. Ironie du sort, c’est dans ce même cours que le proviseur est venu annoncer que j’avais gagné le premier prix de ce concours national. Pour moi qui avais de mauvaises notes en dessin à l’école (il faut dire que lorsqu’on me demandait de dessiner un berger, je me contentais de figurer un feu avec une flèche indiquant « le berger est derrière » !), ce fut un extraordinaire encouragement. Et j’ai continué, je suis devenu moi-même dessinateur de presse, mais aussi journaliste et photographe.
On sait par vos Petit éloge de la lecture et Petit éloge de lecteurs (Folio) que les livres sont vos fidèles compagnons. En tant que fils d’enseignants vous avez sans doute eu accès aux livres très jeune. Quel souvenir gardez-vous de ces lectures d’enfance ?
Pour moi, la référence «primale», ce sont mes souvenirs de lecture dans une classe désaffectée de l’école. Cette classe inutilisée depuis des années est envahie par la poussière, matérialisée en cristaux par les rayons du soleil du Midi. Je m’y rends chaque jeudi, jour de fermeture de l’école à l’époque, pour y retrouver des livres comme on retrouve des amis. Partout, en désordre, reposent ces gros livres de prix à la couverture rouge de l’éditeur Hetzel ou d’autres.
L’objet, déjà, est magnifique. Ce sont des livres «coffres». Quand on ouvre la couverture, vaste et lourde, on a l’impression d’ouvrir la porte des rêves. Allongé par terre, mon ventre contre le plancher chaud, j’explore les vieilles gravures, sans couleur, mais c’est une écriture graphique que je lis, car les textes, eux, me sont encore inaccessibles. Les forêts profondes, les divers monstres de ces vastes images engloutissent le petit gosse que je suis.
Un livre, plus particulièrement, m’a marqué, sans que je n’en sache jamais ni l’auteur, ni le titre, ni même l’histoire, simplement qu’il avait pour sujet la conquête de l’Ouest. Sur une double page, un train, formant une diagonale, est attaqué par des bandits, tandis qu’un troupeau de bisons passe devant la locomotive. Au loin j’observais des montagnes – les Rocheuses –, et de petits personnages, comme des insectes – les Indiens. J’entendais les sabots des chevaux, les coups de feu, et, pour avoir vécu la guerre, les détonations que suggérait la fumée. La littérature dessinée est une vraie écriture, mais c’est une écriture sauvage.
Les albums du Père Castor m’ont également nourri et fortement marqué, moins pour leurs histoires que je trouvais très didactiques,que pour certaines images, celle de Frou le lièvre qui se dresse sur ses pattes arrière en attendant sa bien-aimée, ou celle de la main de Cigalou proche de se poser sur la vipère, c’est comme si j’avais lu un très beau texte.
Un hiver, le premier hiver de paix après la guerre, toujours dans le Midi, je devais avoir six ans, il est tombé une épaisseur de neige exceptionnelle. Au matin, mon frère aîné m’a réveillé et nous sommes partis tous les deux, en pyjama et en chaussons, découvrir la neige que je voyais pour la première fois. Je marchais dans les traces de mon frère, ce dont j’étais très fier. Mais au bout d’un quart d’heure, mes chaussons aux pauvres semelles de carton se sont complètement délités. Je n’avais plus rien aux
pieds mais je laissais des traces bleues, j’ai alors crié à mon frère : « Regarde, on est dans le livre de Michka ! » J’étais, littéralement, dans l’album et les images de Feodor Rojankovsky.
Et ensuite ?
Très vite, j’ai rompu le fil de la littérature pour la jeunesse. Mon père avait été détaché de l’Éducation nationale auprès de la Ligue de l’enseignement pour remonter le théâtre amateur avec Pierre-Jakez Hélias. C’était un proche de Jean Vilar. Dans la bibliothèque paternelle, il n’y avait que du théâtre. Dès neuf ou dix ans, j’ai lu Andromaque, Bérénice, et j’ai été conquis par la musique de la langue, celle des alexandrins, cette façon de respirer, ces rimes, toute cette mécanique de la langue. Au bout d’un moment, j’ai épuisé le répertoire de mon père.
C’est alors qu’il est arrivé une chose extraordinaire : l’apparition, dans la devanture d’une librairie, de couvertures de livres aussi colorées, aussi attirantes que les affiches de cinéma. Très vite, tout ce qui avait précédé en matière de lecture s’est brutalement tari : n’existait plus pour moi que cette collection dite… de poche, avec ces nouveaux titres chaque semaine, dont le coût, 150 francs, correspondait exactement au montant de mon argent de poche hebdomadaire. Tous ces titres forment la pierre angulaire de mes lectures : Camus, Malraux, Steinbeck, Malaparte, Mac Orlan… Le Livre de Poche a fonctionné sur moi comme un aspirateur à lecture.
Après une carrière dans la presse, comment avez-vous retrouvé la littérature pour la jeunesse ?
En tant que père de famille, par les albums que j’ai lus à mes enfants, alors que la littérature pour la jeunesse était en train de connaître ce développement fulgurant après la création de L’École des loisirs puis de Gallimard Jeunesse. Grâce à Maurice Sendak, Tomi Ungerer, Binette Schroeder et tant d’autres, j’ai retrouvé la même émotion que celle où m’avaient plongé, tout gosse, mes gravures d’Indiens. Tout semblait possible. Lorsque je me suis lancé dans mon premier album, Moi, ma grand-mère… (1978), j’avais déjà fait un peu de bande dessinée pour le magazine Francs-Jeux pour lequel je travaillais, mais je me sentais à l’étroit dans ce langage fait de cases et de bulles. J’ai donc réalisé un album avec des images à bord vif, sans cadre, qui fonctionnait en quelque sorte avec une case par page. C’était un cadeau pour ma grand-mère. Je savais que ce serait un livre pour enfants, mais c’était d’abord un hommage à celle qui m’avait tant apporté – en plus des tartines au beurre et au chocolat cassé en petits morceaux !
Deux ans plus tard apparaît celui qui deviendra l’un des plus grands héros de livres pour enfants, le prince de Motordu. Comment est né ce personnage ?
Nous l’avons créé ensemble, avec ma femme Geneviève, qui est peintre et a travaillé pour le théâtre amateur comme costumière. Elle a littéralement habillé mon dessin, inventé la chemise verte à pois noirs du prince de Motordu tandis que je lui dessinais une ficelle pour tenir son pantalon. Nous formons tous les deux une équipe, et nous travaillons ensemble à l’atelier. Pour chaque livre, nous avons des discussions préalables. Parfois, sa mise en couleurs intervient à partir de mes traits au noir, avec des encres transparentes. D’autres fois, son intervention est plus décisive, comme pour Tant que je serai là… (2017), sur un texte de notre fille Elsa Ferrier pour lequel Geneviève a d’abord travaillé à la peinture acrylique sur mon crayonné avant que je ne redessine mes traits au fusain. Au sens cinématographique du terme, elle est
la directrice de la photo, elle choisit les éclairages, les couleurs, les ambiances en fonction des histoires, comme moi je recrute mes personnages sur casting à partir de mes essais de dessin. C’est parfait !
Concrètement, comment dessinez-vous pour vos albums ?
Je souffre ! J’ai un manque terrible de confiance en moi. Bien sûr, je peux faire avec joie des petits crobars. Mais dès qu’il faut mettre en place une page illustrée, c’est un véritable remue-méninges pour trouver comment je vais exprimer ce que j’ai prévu de faire. Je ne suis pas un routinier du croquis. J’aime bien dessiner comme j’écris, car écrire c’est déjà dessiner. Je préfère nettement «jeter» mes dessins. Mais pour un livre, il faut des emplacements déterminés, des découpages, la notion de durée est importante, et il faut conserver une continuité graphique de page en page. Et comme j’ai horreur de m’ennuyer en dessinant, je me lance dans des trucs impossibles. Chaque fois, je me jette à l’eau et j’apprends en même temps à nager. Je dessine dans l’urgence, quand je suis au pied du mur. Du coup, j’ai la réputation de travailler rapidement et souvent on me donne des délais très courts ! Même pour la série de Motordu, qui compte 25 titres, je reprends tout à chaque fois. C’est une chose importante pour moi que de montrer aux enfants qu’il y a toute une palette possible de dessins.
En plus de vos propres albums en tant qu’auteur-illustrateur, vous illustrez aussi des textes d’autres auteurs. Comment choisissez-vous ces collaborations ? Illustrer, c’est d’abord une histoire d’amour avec un texte. Découvrir celui du Monstre poilu a d’abord été un cadeau qu’Henriette [Bichonnier] m’a fait une veille de Noël en me le lisant
au téléphone. J’avais alors jubilé en imaginant les dessins qu’il serait possible de réaliser pour l’accompagner. Les textes de Didier Daeninckx, d’une tonalité totalement différente, plus grave, portent en eux un plaisir tout à fait autre, suscité par la limpidité de la démonstration, leur élégance et leur pudeur. En même temps, Didier Daeninckx a toujours su me laisser un très grand espace de liberté.
L’auteur et l’illustrateur, à mon avis, ne forment pas un duo comme en bande dessinée. Pour moi, le texte, c’est comme du marbre, il faut que je taille dedans pour aller chercher mes dessins. Si je n’ai pas ce sentiment, je suis beaucoup moins motivé. Un très grand bonheur a été d’illustrer les textes de Gianni Rodari, qui est mort l’année même où je suis entré en littérature pour la jeunesse. Quel regret de ne pas l’avoir connu ! Je me retrouve tellement dans sa Grammaire de l’imagination, dans ses
Histoires au téléphone, dans ses questions absurdes, si profondes : « Pourquoi les feuilles ont-elles des arbres ? » J’ai même illustré ses textes pour des éditions italiennes.
La poésie a progressivement pris une grande importance dans votre travail d’auteur. Comment est-elle arrivée dans votre vie ?
Au lycée, comme pour le dessin. Mon père me terrorisait tellement avec le baccalauréat que la poésie était pour moi une littérature clandestine. Elle a d’abord été en quelque sorte une forme de résistance à l’occupation paternelle. Ainsi, vers quinze-seize ans, sous l’influence magnifique de la collection Poètes d’aujourd’hui, chez Seghers, j’écrivais du « sous-Prévert » ou du « sous-Victor Hugo ». C’était d’une tristesse infinie ; c’était de la poésie d’adolescent !
En mai dernier, alors que j’étais invité au festival des Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, une dame s’est présentée à moi en me disant : « Tu ne me reconnais pas Pierrot ? » C’était Raymonde, la secrétaire de mon père, qui m’a rappelé qu’à l’époque je l’attendais sous les tilleuls avec mon vélo pour lui donner en douce mes textes à dactylographier.
Dans mes premiers livres pour enfants, j’ai parfois tenté la poésie, car finalement garder «un troupeau de boutons» ou faire du «râteau à voile», c’est déjà de la poésie puisque ma définition en est «un mot qui en rencontre un autre». Mais je voulais faire de la «poésie comique», ce qui ne collait pas avec cette «compagnie
des grands larmoyants» évoquée par Pierre Mac Orlan. J’ai donc lancé quelques avertissements secrets dans certains de mes albums, travaillé de grandes envolées lyriques s’achevant sur un pied-de-nez, mais personne ne s’en est réellement aperçu.
Alors, j’ai fait L’EncycloPefdie, un dictionnaire rigolo avec des poèmes en italique qui servent de définition à des mots. Puis les Attrapoèmes, et là ce sont des calligrammes, des rimes qui accompagnent toute une année de lecture. La poésie s’apparente pour moi au dessin humoristique, c’est un sprint, elle doit pouvoir
être vite lue, on ne va pas jusqu’au bout de la ligne. J’aime cette brièveté, qui m’évoque d’ailleurs la manière qu’ont les enfants de dire de la poésie, cela s’apparente à un pensum dont ils veulent vite se débarrasser ; la poésie est récitée d’une traite, quasi sans respiration, nom de l’auteur inclus dans la diction.
Est-ce pour aider les enfants à nouer un autre rapport à la poésie que lors de vos très nombreuses rencontres avec vos lecteurs, vous les encouragez à répondre par l’absurde à des questions sérieuses ?
C’est pour leur rappeler qu’ils sont au monde mais qu’ils peuvent en profiter pour voir autre chose que le monde. Et qu’il y a autant de mondes que d’enfants. L’une des plus belles choses de l’humanité, c’est de pouvoir affirmer : « Ce n’est pas vrai, mais c’est possible, au moins à imaginer. » Et les enfants sont absolument disponibles à ce genre de folie ordinaire. Pour eux, c’est un regard neuf, et c’est la preuve par le neuf. Je trouve toujours dans le regard des mômes, et dans leur sourire, une sorte de feu
vert : « Vas-y, tu peux y aller. »
Propos recueillis par Sophie Van der Linden
Présentation de ses ouvrages pour la jeunesse autour de quatre thèmes, avec des extraits : «La langue en partage», «Drôles de dessins», «Le souffle de l'aventure».
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La belle lisse poire du prince de Motordu de Pef (L'heure des histoires) Le jeune prince de Motordu habite un magnifique chapeau. Avec ses coussins il y joue aux tartes dans la grande salle à danger. Un jour, une jeune institutrice, la princesse Dézécolle, l'invite dans sa classe pour remettre le langage à l'endroit. |
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Les tables de La Fontaine de Pef (Folio Cadet premiers romans) Le Prince de Motordu a sauté sur la table pour changer les lentes poules grillées et l'a cassée. Vite, toute la famille en toiture pour en acheter une nouvelle! Pas facile d'en dénicher une à leur goût. Les tables de multiplications, avec leurs rallonges, sont trop petites ou trop grandes, la table à repasser trop étroite... Chez Jean, à côté de la fontaine, trouveront-ils leur bonheur ?
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Pef raconte les aventures du prince de Motordu et de sa famille en jouant avec la langue : jeux de mots, paires minimales, écriture phonétique, sont soutenus par ses illustrations. Les histoires du prince de Motordu peuvent être exploitées, essentiellement à l’oral, en grande section, mais aussi en lecture-écriture au cycle 2 et même au début du cycle 3 pour certains titres dans lesquels beaucoup de jeux de langage sont complexes.
Voir et télécharger la séquence sur la série Le Prince de Motordu